J’ai besoin d’un crédit.
Je commence tout naturellement par m’adresser à ma banque. Ils me connaissent bien et proposent de bons taux, ce sera l’affaire d’une minute. Effectivement, c’est très rapide : quelques secondes me suffisent pour remplir le formulaire web et me prendre un insultant « crédit refusé » dans la poire.
Je tombe des nues. (Tout en poussant néanmoins divers jurons in petto.) Ma situation financière est saine, les mensualités de l’emprunt seraient faibles, qu’est-ce qui peut bien coincer ? La logique des banques me sera toujours hermétique. Bon, ce ne sont pas les organismes de crédit qui manquent, ne nous laissons pas démonter.
NEXT !
Allons voir Cofinoga, j’ai déjà un petit crédit chez eux. D’ailleurs, première question qu’on me pose : êtes-vous déjà client ? Oui, m’exclamè-je fièrement ! Deuxième question : veillez entrer votre numéro de compte. Je fouille dans mes papiers (je déteste fouiller dans mes papiers), trouve mon numéro de compte, m’étonne que celui-ci ne comporte que six chiffres alors qu’on m’en demande onze ; je finis par comprendre que ce qui s’appelle numéro de compte sur le formulaire web correspond en fait à mon numéro de client sur mon contrat papier, entre celui-ci dans la case prévue à cet effet, pour recevoir une réponse catégorique et définitive : numéro de client invalide. Bon, pas de temps à perdre avec ces conneries. Cofinoga, si tu me veux comme client, paie-toi un système d’information qui marche.
NEXT !
Passons rendre visite à Cetelem, c’est eux qui ont financé ma petite Ford Ka. Ils m’avaient même envoyé un courrier pour me féliciter de n’avoir jamais eu aucun incident de paiement en quatre ans. Je commence à remplir leur formulaire en ligne. On me pose des questions, encore des questions, et encore d’autres questions. À la troisième page, je commence à me demander si ce formulaire n’aurait pas été rédigé par la réincarnation de Torquemada. À la quatrième page, je frémis à l’idée que la CNIL ait pu donner son aval à la constitution d’un fichier pareil. À la cinquième page, alors qu’on n’a toujours pas abordé le vif du sujet et qu’on me demande le niveau d’étude (hein ?) et le lieu de naissance (quoi ?) de mon conjoint, je décrète que ça suffit.
NEXT !
Retournons voir ma banque, mais par téléphone cette fois. J’appelle un conseiller et lui donne exactement les mêmes informations que celles que j’avais saisies la veille sur internet. Crédit accepté. En fait, je sais pourquoi la logique des banques m’échappe : c’est parce qu’il n’y en a pas.
J’aime bien que dans mon iTunes ou sur mon lecteur MP3, les différents albums d’un groupe ou d’un artiste apparaissent dans leur ordre chronologique de sortie. C’est bête, mais comme je suis légèrement psychotique j’aime l’ordre et la logique, je m’y retrouve mieux quand les premiers et derniers albums d’un groupe s’affichent respectivement en premier et en dernier dans la liste. Hélas, la plupart des logiciels ne proposent qu’un classement alphabétique des artistes et les albums. Ça m'agace.
Il y aurait bien une solution, simple, efficace, élégante : il faudrait que l’ordre chronologique de sortie des albums corresponde pile poil à l’ordre alphabétique de leurs titres. Ca fonctionne par exemple avec Linkin Park : Hybrid Theory, Meteora, Minutes to Midnight et A Thousand Suns (oui, iTunes a l’intelligence de classer ce dernier titre à T et non à A). J’attends avec impatience leur cinquième album, pour voir s’ils poursuivent la logique avec un titre commençant par U, V, W, X, Y ou Z. Inutile de préciser que je serai extrêmement désappointé du contraire.
Quand je serai Maître du Monde, entres autres réformes révolutionnaires et novatrices dont je ne dévoilerai pas la teneur ici pour ne pas trop vous effrayer, j’exigerai que les groupes de rock aient pour obligation de choisir les titres de leurs albums de telle sorte qu’ils apparaissent dans le bon ordre dans iTunes.
Et ainsi, grâce à moi, l’Univers sera un meilleur endroit pour vivre.
Nous avons tellement de retard sur le traitement des minorités.
Au Pays-de-Galles, on a pris conscience que les gays n’osaient pas porter plainte après une agression homophobe parce que les policiers avaient la réputation d’être eux-même homophobes. Pour donner confiance aux homos, le gouvernement a fait apposer un petit autocollant arc-en-ciel sur la porte des commissariats. Imagine-t-on pareille mesure en France ? Bien sûr que non. Ce serait communatariste, et ça, il se trouve plein de gens pour croire sérieusement que ça menacerait la République.
À Londres, le taux d’équipement en aménagements spécifiques pour les personnes à mobilité réduite est, pour un Français, proprement stupéfiant. Tous les taxis et les bus possèdent une rampe d’accès. Presque tous les musées sont accessibles. Un peu partout, des toilettes publiques sont réservées aux handicapés par le biais d’une clef spéciale que l’on peut se procurer auprès de la Royal Association for Disability Rights. Quelques théâtres proposent un service de gardiennage pour les chiens d’aveugle. Imagine-t-on pareille chose en France ? Bien sûr que non. Il y a trop de gens qui pensent sérieusement que « pas de bras, pas de chocolat[1] » et surtout, il est mal vu pour un gouvernement de s’occuper d’autre chose que de l’intérêt général. Or beaucoup, confondant intérêt général et intérêt de la majorité, ne comprennent pas que s’occuper des minorités est profitable à tous et ne relève aucunement d’intérêts particuliers.
Dans certaines villes des États-Unis, les policiers peuvent suivre des formations d’initiation à la diversité. Parce qu’on s’est aperçu, dans ce grand pays multiculturel, qu’on devait s’adresser de manière différente à des gens issus de cultures différentes, parce qu’on s’est aperçu que tout le monde n’était pas blanc hétéro parlant anglais et que tout le monde n’avait donc pas les mêmes besoins que les blancs hétéros parlant anglais, l’État forme ses fonctionnaires à se comporter correctement envers tous ses citoyens. (Bon, ce n’est pas encore gagné, mais il faut avouer qu’ils partent de très loin.) Il me semble que le Canada travaille dans la même direction. Envisage-t-on pareille chose en France ? Bien sûr que non. Ce n’est pas à l’État de s’adapter à la diversité de ses citoyens, c’est aux citoyens d’entrer dans le moule imposé par l’État.
En fait, la France ne peut tout simplement pas penser les concepts de diversité et de minorité. Un truc l’en empêche. Ce truc, c’est un principe quasi-sacré et il a pour nom : Universalisme Républicain®. Chaque fois que l’on propose un aménagement pour une catégorie spécifique de personne (certaines aides sociales, le mariage gay, des ascenseurs réservés aux fauteuils roulants, la parité homme/femme sur les listes présentées aux élections, la liste est infinie) il se trouve des gens pour y voir l’attribution d’un privilège. Et chez nous, on n’aime pas les privilèges. Pour des raisons liées à notre histoire, mais aussi parce que par définition, un privilège n’est pas Républiquement Universel® puisqu’il ne s’applique pas à tous.
Le premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme, un texte dont nous aimons d’ailleurs nous gargariser, stipule que tous les hommes naissent égaux en droits. Il faudrait commencer à comprendre que s’occuper des minorités, c’est justement satisfaire à ce principe d’égalité des droits – et le mot important ici, c’est bien « droits ». Apposer un autocollant arc-en-ciel à l’entrée d’un commissariat, ce n’est pas un privilège ou du communautarisme, mais simplement un marchepied pour hausser les homos, qui partent de plus bas, au même niveau de droits que les autres citoyens. L’universalisme, ça ne veut pas dire les mêmes moyens pour tous, ça veut dire les mêmes résultats pour tous.
Et le plus démoralisant, c’est que je ne fais pas davantage confiance à la gauche qu’à la droite pour faire progresser la France sur ces questions.
Je compte changer de bécane prochainement. J’écume donc tous les vendeurs de moto de la région, j’explore les sites internet des constructeurs… Et rien ne me séduit. Je ne voudrais pas faire mon vieux con, mais quand même, les motos, c’était mieux avant !
Déjà, impossible de trouver des machines de cylindrée raisonnable. On passe directement de 125 cm³ à 600 cm³, sans rien entre les deux. Les moyennes cylindrées de ma jeunesse, les Yamaha 350 RDLC ou les XJ 400, des machines qui m’ont procuré des coups de pied au cul mémorables, n’ont pas d’équivalent actuel. Si les constructeurs ont déserté ce créneau, je suppose que c’est parce qu’il n’était pas vendeur, mais c’est un peu pénible pour qui cherche une machine modeste destinée à évoluer principalement en ville.
Éliminons tout ce qui dépasse 750 cm³ ou 100 ch, soit toutes les BMW, toutes les Triumph, toutes les Ducati, bref, toutes les bécanes rigolotes. Éliminons les trails, c’est moche, la selle est trop haute pour mes courtes pattes et ça tient mal la route. Éliminons les customs et autres Harley Davidson à la position de conduite grotesque et inconfortable. Éliminons les sportives, pas adaptées à la conduite en ville. Éliminons les Honda et les Suzuki dont l’esthétique ne me convainc pas. Éliminons les roadsters « naked », trop fatigants à haute vitesse du fait de l’absence de bulle. Que reste-t-il ?
La Yamaha XJ6 Diversion, la Kawasaki ER-6f, et quelques gros scooters. Le scooter est ce qui est le plus adapté à mes besoins (maniabilité en ville, larges coffres de rangement…) mais j’ai envie d’une moto. La Yamaha n’a qu’un seul phare et je veux une optique double (pour des raisons de sécurité : de nuit, je crois qu’un automobiliste estime mieux la nature, la distance et la vitesse d’un véhicule qui a deux phares).
Ne reste plus que la Kawasaki. Mais ce n’est pas un coup de cœur, c’est un choix par élimination, un choix de raison. Et la raison, c’est quand même à l’opposé de l’idée que je me fais de la moto.
Les propos de Vanneste ont suscité beaucoup de réactions, qui elles-mêmes ont suscité beaucoup de contre-réactions. Dans ces dernières revient souvent le reproche que les militants homos seraient des terroristes intellectuels opposés à la liberté d’expression, puisqu’ils taxeraient d’homophobie tous ceux qui ne pensent pas comme eux.
Les mots ont un sens. La plupart du temps, quand on s’indigne de l’homophobie de quelqu’un, c’est justifié. On peut définir l’homophobie de différentes façons, mais grosso modo, on en revient toujours au même : est homophobe tout propos qui tend à placer l’homosexualité sur un plan inférieur à l’hétérosexualité ; de même qu’est sexiste tout propos qui tend à placer la femme sur un plan inférieur à l’homme, ou qu’est raciste un propos qui tend à placer les étrangers sur un plan inférieur aux Français.
Vous refusez que deux hommes s’embrassent en public parce que vous trouvez ça ostentatoire, alors que ça ne vous pose aucun problème quand il s’agit d’un homme et d’une femme ? Vous placez un même comportement sur deux plans différents selon qu’il provient d’un couple homo ou d’un couple hétéro : c’est homophobe.
Vous trouvez déplacé que votre collègue de travail mette une photo de son mec sur son bureau parce que vous considérez que son homosexualité relève de sa vie privée, alors que ça ne vous pose aucun problème que cet autre voisin de bureau placarde des photos de sa femme ? Vous placez un même comportement sur deux plans différents selon qu’il provient d’un couple homo ou d’un couple hétéro : c’est homophobe.
Vous êtes contre le mariage des couples homos (pour quelque raison que ce soit : vous pouvez toujours chercher, il n’y a aucune bonne raison), alors que ça ne vous pose aucun problème pour les couples hétéros ? Vous placez un même comportement sur deux plans différents selon qu’il provient d’un couple homo ou d’un couple hétéro : c’est homophobe.
Et ainsi de suite, ad libitum.
Je sais pourquoi certains n’acceptent pas cette définition de l’homophobie. C’est parce qu’elle tend à classer comme homophobe soixante-dix pour cent la population (y compris certains homos eux-mêmes) et qu’elle fait apparaître comme homophobes plein d'articles du Code Civil. Ceux-là font l’erreur de croire que le problème est dans la définition du mot, alors qu’il se trouve dans la réalité qu’il décrit.
Oui, soixante-dix pour cent de la population est homophobe. À différents degrés bien sûr, on ne peut pas placer un Vanneste ou une Boutin au même niveau que le quidam qui sans y avoir réfléchi, par simple réflexe conformiste, se déclare opposé au mariage des homosexuels. Mais homophobe quand même.
Soixante-dix pour cent. Qu’on ne me parle pas de lobby gay ou de volonté de prosélytisme. Cette homophobie généralisée, c’est bien la seule et unique cause à l’existence du militantisme gay.
Le réseau bruisse d’une indignation terrible, l’information est répétée de site en site et re-twittée en boucle depuis ce matin, le scoop est énorme : sur l’affiche de campagne de Sarkozy, l’image de fond ne serait pas un paysage français, mais une photo de la mer Égée achetée sur le net. Quelle horreur ! Le même scandale avait secoué la campagne de Le Pen il y a quelques mois, elle avait utilisé une photo d’un faux SDF sur son affiche. Quelle horreur derechef !
Bon, soyons sérieux deux minutes. Qu'est-ce que vous croyez ? Que quand une agence de com parisienne a besoin d’une photo de plage pour une affiche, elle paie un billet de train et deux jours de déplacement à un stagiaire pour qu’il aille, appareil photo en bandoulière, faire quelques shoots dans la baie de Quiberon ? Que quand elle a besoin d’une photo de SDF, elle descend dans la rue en bas de son immeuble en trouver un pour lui demander de prendre la pose ?
Eh bien non. Chacun son métier. Les affiches sont faites par des graphistes, les photos sont faites par des photographes. Ça ne demande pas les mêmes compétences, pas la même formation, pas le même matériel. Il n’existe probablement pas une seule agence au monde qui fait elle-même ses photos. Toutes les agences achètent les photos dont elles ont besoin à des photographes professionnels, le plus souvent en passant, sauf besoin très spécifique, par des banques d’image sur le net. L’agence de com de Le Pen comme l’agence de com de Sarkozy. C’est plus efficace, c’est plus rapide, ça coûte infiniment moins cher. Et pourquoi ne pas reprocher à l’agence de com de ne pas imprimer elle-même les affiches, tant qu’on y est ? Ou à l’imprimeur de ne pas fabriquer lui-même son papier et ses encres ? Ou à l'internaute qui a levé ce « lièvre » de ne pas avoir fabriqué lui-même son modem ADSL ?
Comme si on n’avait pas de critiques suffisamment sérieuses et argumentées à opposer à Sarkozy ou à Le Pen, pour perdre son temps avec des « affaires » pareilles…
Existe-t-il un métier plus noble, plus glorieux que celui de journaliste ? Mettre son existence au service de l’information, aller fouiner au péril de sa vie dans les affaires les plus sombres, explorer les endroits les plus dangereux de la planète et en rapporter ce qui s’y passe…
Les endroits les plus dangereux de la planète, comme par exemple cette station service d’Issy-les-Moulineaux, d’où un envoyé spécial apprit en direct à des millions de téléspectateurs frissonnant d’angoisse, que l’essence avait augmenté.
Les endroits les plus dangereux de la planète, comme par exemple le péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines, d’où un autre envoyé spécial apprit en direct à des millions de téléspectateurs haletants, que l’on comptait cinq kilomètres de bouchons sur l’autoroute A10.
Les endroits les plus dangereux de la planète, comme par exemple ce marchand de fruits et légumes parisien, d’où une envoyée spéciale apprit en direct à des millions de téléspectateurs terrifiés par l’image de ces poireaux, choux-fleurs et autres navets qui entouraient l’intrépide journaliste, que le froid, eh ben, c’est pas bon pour les cultures.
Pujadas, tu devrais changer de métier, parce que là, je pense que le fantôme d’Albert Londres ne va pas tarder à venir te foutre une bonne raclée. Et crois-moi, tu l'auras pas volée, celle-là.
[small](Et en plus, c'est ma redevance télé qui paie le faisceau satellite pour tes conneries, alors tu arrêtes de jouer avec tes envoyés spéciaux, maintenant.)[/small]
Il y a chez Grosse Bouâte SA une petite tradition sympathique, celle de l’énigme du midi. Tous les jours à 12h30, un collègue envoie sur la mailing-list interne une petite devinette, un casse-tête ou un jeu de logique. C’est le signal du départ pour la cantine et accessoirement, on s’amuse tout en faisant fonctionner ses neurones.
Depuis quelque temps, la mode pour l’énigme du midi est aux devinettes basées sur les pièges orthographiques de la langue française. Le niveau est facile, il y a quasi systématiquement cent pour cent de bonnes réponses. Aussi, moi qui aime bien la langue, j’ai pensé un moment proposer des jeux et des énigmes un peu plus sérieuses. Des choses à base du non-usage du subjonctif après « après que » ou à base de « c’est le matin que la rose est le plus belle », par exemple. Et puis je me suis abstenu.
En fait, je trouve ce genre de jeu assez puéril. Comme le dit très bien ma copine Samantdi, la langue ne doit pas être un outil de domination, elle ne doit pas être utilisée par « ceux qui savent » pour affirmer leur supériorité sur « ceux qui ne savent pas ». Elle doit servir à partager, à communiquer, pas à humilier. Quelle importance qu’une personne maîtrise ou ne maîtrise pas telle ou telle règle grammaticale bizarre et complètement oubliée ? Ce n’est pas ce qui rend son discours plus ou moins intéressant.
Le bon grammairien ne légifère pas, il constate. N’en déplaise à notre conception jacobine de l’État, ce n’est pas l’Académie Française qui fixe la langue, ce sont les centaines de millions de personnes qui la parlent dans le monde. Les Immortels peuvent toujours édicter des règles, si personne ne les respecte, ça ne sert à rien ; les dictionnaires peuvent toujours proclamer que « antidote » ou « appendice » sont des mots masculins, si la majorité de la population les utilise au féminin, alors ce sont des mots féminins. Mais c’est une idée mal acceptée : Maurice Grevisse, qui dans son célèbre Du Bon Usage avalisait des constructions normalement proscrites par l’Académie au prétexte qu’on les trouve parfois sous la plume de quelques auteurs, était qualifié de laxiste par les Ayatollahs du Parfait Français. Cette mode de l’orthodoxie orthographique est d’ailleurs assez récente ; quiconque a déjà feuilleté des ouvrages imprimés avant le XVIIIe siècle sait que le genre des mots et l’orthographe étaient à l’époque assez fluctuantes suivant les auteurs et les imprimeurs, et la Terre n’en tournait pas moins rond.
Bien sûr, je suis complètement schizophrène lorsque j’écris tout ceci, moi qui moque les présentateurs télé utilisant le conditionnel après « si » ; qui râle quand un collègue m’envoie un mail truffé de fautes ; qui renonce à lire certains blogs qui pourraient pourtant m’intéresser parce leur syntaxe me rebute ; ou qui suis amoureux de ce F à la fin de « clef » ou de ce tréma curieusement placé dans « ambiguë ». En fait, je pense que nous n’utilisons pas tous notre cerveau de la même manière. Je fais partie des gens qui se basent principalement sur la graphie pour comprendre l’écrit, je suis donc très handicapé dans ma lecture quand l’orthographe est hasardeuse ; mais ça ne m’empêche pas de concevoir que d’autres fonctionnent différemment et utilisent peut-être davantage les sonorités, ou le contexte, pour comprendre une phrase, et sont plus insensibles à la graphie. Tout le monde n’est pas obligé de vibrer à la prose de Victor Hugo, de même que tout le monde n’est pas obligé d’aimer la musique ou la peinture.
Est paru dans Le Monde cette semaine un article très intéressant sur la revendication féministe de supprimer la règle grammaticale qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. L’argument est convaincant : cette règle de suprématie du masculin ayant été instaurée assez récemment pour des motifs purement sexistes, il n’est pas idiot de vouloir la supprimer maintenant que notre société a progressé sur le plan de l’égalité des sexes. Nous reviendrions alors à la règle qui prévalait auparavant, issue du latin et du grec, dite règle de proximité. Levée de bouclier généralisée dans les commentaires, bien sûr, de la part de tous ceux pour qui le français est sacré et intouchable. Comme si on avait parlé la même langue depuis Clovis 1er jusqu’à nos jours… Des pays comme le Brésil sont moins frileux que nous, qui réforment couramment l’orthographe de leur langue (suppression des doubles consonnes par exemple) pour l’adapter aux usages de la population.
À ces féministes, j’ai un peu envie de dire : chiche. C’est l’usage qui fait la langue, pas l’Académie. Appliquez la règle de proximité dans tous vos écrits, convainquez des maisons d’édition de vous suivre (il en existe déjà au moins une), des écrivains, des journalistes… Et dans une génération, l’usage s’imposera de lui-même. La preuve que cette « révolution » n'est pas si terrible, c’est que j’ai moi-même appliqué cette règle de proximité dans ce billet. Je suis quasi certain que personne ne s’en était aperçu jusqu’à cette phrase.
Comptant augmenter prochainement la liste des catégories de véhicules que mon permis m’autorise à conduire, je me retrouve, à quarante-deux ans bien tassés, à repasser mon code.
Assez présomptueusement, je m’étais dit que ça n’était qu’une formalité. Et puis après avoir raté une bonne dizaine d’examens blancs, je me suis décidé à acheter et à relire un code de la route. C’est fou le nombre de choses qui ont changé ! L’introduction du permis à points, du permis probatoire, de la conduite accompagnée, de la conduite supervisée, du contrôle technique automobile, l’introduction de préoccupations écologiques dans les réglementations, la modification des seuils d’alcoolémie et la prise en compte d’autres substances psycho-actives comme le cannabis et les médicaments…
Sans parler de tout ce que j’ai purement et simplement oublié. Par exemple, les règles précises d’allumage des feux de position, de croisement, de route, et d’antibrouillard. En usage normal, dans la vraie vie, bien sûr, je m’en sors très bien ; sauf que les photos qu’on vous propose dans les examens du code ne sont jamais des situations normales. Il s’agit toujours de cas limites, pour lesquels la connaissance de la règle exacte et ses (innombrables) exceptions est indispensable.
Mais malgré mes révisions, je descends rarement en-dessous des cinq fautes. Il faut dire que je pars du principe qu’il y a une logique. Grave erreur. Dix pour cent des questions ne répondent à aucune logique.
Pour une situation donnée, la bonne réponse peut être certaines fois « je passe », au prétexte que j’ai la priorité, puis d’autres fois « je ne passe pas », au prétexte que j’ai la priorité mais bon un peu de courtoisie ne fait pas de mal. Un piéton sur le bord de la route ? Un coup la bonne réponse est qu’il ne présente pas de danger, un autre coup qu’on doit se méfier parce qu’un piéton est imprévisible. (De toute façon, je ne sais pas vous, mais moi j’ai du mal à évaluer si un piéton présente un comportement dangereux sur une photo statique…) Il y a aussi des questions où aucune réponse n’est pertinente, comme celle où on vous demande si vous cédez le passage au piéton alors qu’il est de toute façon impossible étant donnée la configuration des lieux que vous croisiez sa route. Ou alors cette photo tout à fait claire et lumineuse où vous apprenez stupéfait que vous auriez dû allumer vos feux à cause des mauvaises conditions de visibilité.
Un jeune collègue qui vient de passer le permis m’assure que les questions posées à l’examen sont vraiment plus simples que celles posées à l’entrainement, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a une composante hasardeuse bien plus grande que ce qu’elle devrait être dans ce genre d’examen.
Du coup, je stresse bêtement.
Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Quand j’étais adolescent, dans mon quartier, dans mon milieu, dans mon lycée, être raciste était la dernière des tares. Traiter quelqu'un de raciste était une insulte grave, l’association SOS Racisme venait de se créer avec leur fameux slogan « touche pas à mon pote », le MRAP commençait à faire parler de lui, il y avait eu la Marche des Beurs entre Marseille et Paris, notre prof de français nous avait emmené voir le film Train d’enfer et toute la classe en était ressortie révoltée, et quand le FN avait fait péter les scores en 1986, les Béruriers Noirs avaient répliqué avec Salut à toi et bien sûr avec La jeunesse emmerde le Front National.
De nos jours, être raciste est une option acceptable. Certes, c’est toujours condamné par la loi, mais tout le monde s’en fout. Brice Hortefeux insulte régulièrement les Arabes ou les Rroms depuis cinq ans sans que personne ne bronche, sauf la gauche, mais justement, que la gauche s’indigne est interprété comme une preuve qu’être raciste est cool puisque ça fait râler les « bien-pensants ». Claude Guéant truque des statistiques pour « prouver » que les immigrés réussissent moins bien à l’école que les bons petits Français, l’INSEE s’indigne, l’affaire occupe les premières pages de Libé pendant trois jours, puis tout le monde oublie. Des gens comme Philippe Bilger ou Robert Ménard réclament le droit de dire que les immigrés sont majoritairement des délinquants « au nom du droit à décrire le réel » (sic) et il ne se trouve pas un seul journaliste en face pour leur répondre qu’interpréter le réel par le seul prisme de l’ethnie est une analyse quand même vraiment très faible, et de surcroît, fausse.
Je ne comprends pas ce qui s’est passé, mais j’en ai une petite idée. La droite a gagné sur le plan idéologique, et plus particulièrement sur l’idée qui veut que les gens soient responsables de ce qui leur arrive – ou pire, que cela résulte d’un ordre naturel. Dans les années 80, les pauvres étaient vus comme un effet secondaire négatif du système économique. Maintenant, on admet facilement que si les pauvres sont pauvres, c’est soit parce que ces feignasses ne se bougent pas assez le cul, soit parce qu’ils sont naturellement inadaptés à notre monde, et dans ce cas on ne peut rien pour eux. Idem pour les étrangers. Oh, bien sûr, on ne leur reproche pas leur couleur de peau ou leur lieu de naissance, ça, même la droite a conscience que ce serait idiot ; mais on leur reproche de ne pas vouloir vraiment s’intégrer, de ne pas oublier leur culture pour adhérer pleinement à la nôtre, on leur reproche de vouloir pratiquer une religion pas catholique, de ne pas faire assez d’effort pour parler parfaitement notre langue, etc. En fait, on leur reproche de faire exprès d’être différents, tout comme on reproche aux pauvres de faire exprès d’être pauvres.
Les débats sur l’identité nationale, la loi sur le voile, les propos racistes de nos ministres ou du chef de l’État, ça peut paraître n’être que des mots, mais de l’autre côté du téléviseur, il y a des gens qui les encaissent. La grossièreté des flics avec tout ce qui est basané, les tracasseries administratives délirantes pour tout ce qui n’est pas né dans l’hexagone, les délits de faciès permanents, ça peut paraître n’être que des brèves dans les journaux, mais ce sont de vrais gens qui les encaissent.
Traiter les gens comme de la merde, tôt ou tard, ça finit par faire de la merde. Je ne suis pas très confiant en ce que nous réserve l'année 2012.
Il ne vous aura sans doute pas échappé qu’un cheikh égyptien a déclaré récemment que les femmes devaient s’abstenir de toucher bananes, concombres, courgettes et autres carottes, du fait de la dangereuse ressemblance entre ces innocents végétaux et le pénis humain.
Bien sûr, interdire aux femmes de toucher des aliments peut poser de menus problèmes dans l’organisation du quotidien. Mais notre cheikh a tout prévu ! Si une femme a vraiment envie de manger un de ces horribles légumes phalliques, il lui suffit de demander à son mari de le découper préalablement ! Car une fois réduit en petit morceaux, le végétal perd sa ressemblance sexuelle et plus rien n’empêche la femme d’y toucher… Imparable logique.
Une autre logique tout aussi imparable, mais qui semble étrangère à cet illuminé, c’est que la banane ou la courgette ne ressemble pas moins à une bite quand c’est un homme qui la manipule que quand c’est une femme. Demander aux maris de cuisiner pour éviter que leur femme n’approche d’objets phalliques n’est donc rien d’autre qu’un encouragement à l’homosexualité. Ce qui me fait quand même doucement rigoler, vu que c’est probablement dans la tête de ce rigoriste un péché bien plus grand que celui qu’il veut éviter initialement…
Je ne saurais que trop conseiller à ce religieux de prendre ses bananes, ses concombres et ses courgettes et de se les foutre dans le cul. Pendant qu’il sera ainsi occupé à découvrir sa sexualité, il se préoccupera peut-être un peu moins de celle des autres et tout le monde y gagnera.
Voilà, j’ai craqué, j’ai demandé une liseuse électronique au Père Noël. Comme tous les bibliophiles, je suis un adorateur du livre papier ; mais le livre électronique apporte des avantages que je trouve ridicule de rejeter.
De plus, de même que le cinéma a cessé d’être du théâtre filmé pour devenir un langage artistique à part entière, je suis certain que les possibilités techniques du livre électronique autoriseront un jour des formes nouvelles. On peut imaginer des ouvrages de type « le livre dont vous êtes le héros » bien plus interactifs que ce qui se fait actuellement. On peut imaginer des ouvrages oulipiens de type Cent mille milliards de poèmes bien plus complexes et amusants que ce qu’avait pu faire Queneau avec ses bandelettes de papier. On peut imaginer des ouvrages qui seraient fournis avec des illustrations musicales ou des bruits d’ambiance. Il faut juste que les écrivains s’emparent du média et inventent le langage artistique qui va avec.
Ma seule réserve porte sur le manque de sensation d’avancement dans l’ouvrage. J’aime, avec un livre, voir l’épaisseur de papier augmenter à ma gauche cependant qu’elle diminue à ma droite. J’aime sentir physiquement que j’avance dans ma lecture, j’aime pouvoir quantifier d’un regard ce qui reste à lire. Le livre électronique ne rend pas cette sensation, ou alors de façon superficielle, par un simple pourcentage affiché dans un coin. J’ai peur que ça ne soit pas suffisant. Je verrai bien.
(Il n'est pas dans mes habitudes de commenter les photos que je publie ici, mais là, je tiens à préciser que je trouve cette statue d'un goût particulièrement douteux…)
Comme je suis légèrement psychopathe j’aime la régularité et la symétrie, à l’occasion de l’emménagement dans la nouvelle maison, j’ai jeté tous mes vieux flacons d’épices dépareillés – des verts, des jaunes, des oranges, des petits, des grands, des cylindriques, des parallélépipédiques – et j’en ai transvasé le contenu dans de jolis petits bocaux, tous parfaitement identiques, tous parfaitement alignés le long du mur.
Afin qu’on s’y retrouve, le copain avait préalablement relevé le nom de tous les épices et imprimé autant d’étiquettes à coller sur les flacons. Las, au moment du grand transvasement, nous découvrîmes, erreur funeste, qu’il avait imprimé les étiquettes sur un papier tout à fait banal, et non sur le papier autocollant espéré. Impossible d’étiqueter les flacons !
Je me suis dit : tant pis, pas de nom sur les bocaux, non seulement ça sera plus joli, mais de plus, je suis quand même capable de reconnaître les épices à l’odeur, au goût, à l’aspect et à la couleur, hein ! Deux mois plus tard, je peux vous dire que je fus quelque peu présomptueux sur ce coup-là. La cannelle, le poivre, la muscade, le sel au céleri, pas de souci. Le cumin, ça passe, quoiqu’il m’arrive d’avoir un doute. Mais entre le paprika et le chili un peu éventé ? Ou bien entre le thym, les herbes de Provence, et l’origan fatigué ? Quant au ras-el-hanout, pas moyen de remettre la main dessus.
Comme quoi, notre cerveau n’est pas très doué avec l’odorat. Nous savons parfaitement distinguer deux senteurs différentes, nous sommes capables d’apprécier le raffinement d’une nourriture épicée, mais dès qu’il s’agit de coller un nom précis sur une odeur, il n’y a plus personne…
Sinon, à propos d’épice, saviez-vous que la noix de muscade était un hallucinogène ? Je vous déconseille formellement d’essayer parce que la dose récréative est voisine de la dose mortelle (oui, la muscade est également toxique) et les effets secondaires sont réputés extrêmement longs et désagréables. Aucun risque de planer ou de s’intoxiquer en assaisonnant votre purée de pomme de terre, mais c’est une drogue parfois utilisée en prison par les toxicos quand ils n’ont plus accès à rien d’autre.