Essai du Shoei Neotec

J’aimais bien mon vieux Nolan N104, pour plein de raisons : l’axe excentrique de la mâchoire, qui permet à cette dernière de passer loin du visage avant de revenir près du menton se verrouiller, l’excellent contraste de la visière solaire, la largeur du champ de vision, le confort global, l’intégration parfaite de l’intercom… Mais il avait un défaut majeur : son aérodynamique d’armoire normande.

Un casque pas aérodynamique, ça produit du bruit et des turbulences. Je parlais justement de l’intercom ; en pratique, il était inutilisable au-delà de 80 km/h à cause du niveau sonore ambiant. Quant aux turbulences, elles font brinquebaler la tête et tout le haut du corps, surtout quand on double un poids-lourd, ce qui en plus d’être pénible, perturbe la stabilité de la trajectoire.

Avec ma précédente moto, ces inconvénients restaient minimes, je suppose parce que la bulle déviait convenablement le flux d’air au-dessus du casque. Avec la Z1000, ce n’est plus le cas. Mais alors, plus du tout ! En plus, ce vieux casque atteignait la limite des cinq ans. Deux bonnes raisons d'en changer.

J’ai hésité des semaines entre un Schuberth C3, un Shoei Neotec, un Shark Evoline 3, voire, pourquoi ne pas rester chez (une filiale de) Nolan, un X-1003. Après avoir épuisé quelques vendeurs dans quatre ou cinq magasins, après les avoir tous essayés quinze fois, après avoir sondé Twitter, mon choix s’est porté sur le Shoei. (J’ai ensuite hésité pendant des jours et jusqu’à la dernière seconde sur la couleur, mais c’est un autre sujet, je suis sûr que le vendeur m’a déjà pardonné de lui avoir fait retourner sa réserve pour trouver un modèle blanc à ma taille pour finalement choisir le noir…)

Bon alors, ce Shoei Neotec ?

Sur le point qui me gênait le plus, c’est une réussite : l’aérodynamique est bonne, ce qui donne une ambiance sonore bien moins pénible et surtout, plus aucune turbulence. Sur l’autoroute, la moto file sur des rails et je n’ai plus la tête secouée en tous sens dans le sillage des poids-lourds. En fait, j’ai été stupéfait de voir à quel point juste changer de casque pouvait changer le comportement et le confort de toute la moto ! L’insonorisation est honnête, elle filtre bien le bruit du moteur et de la route sans trop atténuer les bruits de la circulation. Autre point positif : l’aération. Elle est efficace et les clapets sont faciles à trouver et à manipuler avec des gros gants.

Rien à dire non plus niveau confort, enfilage en gardant les lunettes, manipulation de la mâchoire, verrouillage de la mentonnière, etc. Tout cela est de très bonne facture, comme on peut s’y attendre sur un casque de cette gamme. Aucun problème de buée non plus, non seulement il y a un écran Pinlock, mais il y a aussi un cache-nez qui dévie vers le bas l’air humide expiré pour éviter qu’il ne frappe la visière.

Autre détail sympathique, le champ de vision me semble plus étendu vers le haut que sur le Nolan. C’est appréciable sur la Z1000 où la position de conduite est légèrement basculée vers l’avant. On peut se pencher un peu sur le réservoir sans trop se casser la nuque pour continuer à voir la route.

Mais j’avais de grandes espérances ! J’attendais la perfection, du coup je suis forcément un peu déçu… Certes l’ambiance sonore est plus agréable qu’avec le N104, mais on m’avait tellement vanté « un des casques les plus silencieux du marché » que je m’attendais à mieux… Et quand les écoutilles d’aération sont ouvertes, il se produit parfois de petits sifflements aérodynamiques.

Petite déception également à propos de la visière solaire. Alors que celle du Nolan magnifiait le contraste, celle-ci le dégrade, comme si on regardait à travers un léger voile. De plus, elle donne une teinte vaguement violette au paysage. Je n’aime pas non plus l’emplacement de la commande, près de l’oreille gauche. (Deux points sur lesquels mon cerveau devrait s’habituer très vite, ceci dit.)

Dernier détail décevant (et surtout bizarre), il est précisé dans la documentation qu’il est interdit de conduire la nuit avec l’écran Pinlock. J’ai un peu cherché et d’après ce que j’ai compris, la réglementation européenne impose pour la conduite nocturne que la visière transmette plus de 80% de la lumière, or la visière du Shoei avec le Pinlock en place transmet tout juste 80%. Franchement, pour si peu, c’est ridicule, surtout que je ne connais pas un seul motard qui va s’amuser à démonter et remonter l’écran sans arrêt. Et puis le remède risque d’être pire que le mal, vu que la légère amélioration en vision nocturne apportée par le démontage du Pinlock sera réduite à néant par l’apparition de buée.

Le regret, c’est que tous ces petits détails ne peuvent se voir qu’après quelques jours d’essais en moto. Donc après achat. Si ça se trouve, le Schuberth qui semblait moins bien dans le magasin était mieux sur route, mais je n’ai aucun moyen de le savoir ! À quand les magasins qui laissent essayer les casques en situation réelle ?

Mauvaise impression

Comme nous avons déménagé (enfin il y a deux ans, mais je ne règle les problèmes qu'au fur et à mesure qu'ils se présentent), nous avons une nouvelle box internet. C'est-à-dire un nouveau routeur avec un nouveau nom et un nouveau mot de passe. Mon imprimante sans fil n'arrive donc plus à s'y connecter. Qu'importe, me dis-je, inconscient de la lutte qui m'attend, il n'y a qu'à la reconfigurer !

Petite revue des différents utilitaires installés sur ma machine dans le répertoire HP. Je ne vois rien qui permette de reconfigurer le mot de passe WiFi de l'imprimante. Petite revue des différents boutons et options en façade de la bête : pas mieux. Imprimante 1 - 0 Virgile.

Il va donc falloir la réinstaller entièrement avec le CD d'origine. Bien évidemment, je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il se trouve. Je vais donc sur le site HP dans l'espoir de le télécharger. Je tape le nom de mon imprimante, ça m'en trouve trente-sept dont le nom n'a aucun rapport avec ce que j'ai tapé (c'est bien la peine de proposer un moteur de recherche…), je farfouille, je finis par trouver celle qui correspond. Je clique dessus, une page s'ouvre et m'apprend que je suis chanceux, je n'ai pas besoin de télécharger quoi que ce soit, ce modèle est directement pris en charge par Mac OS ! Ah oui. Mais non. Moi je veux télécharger ce foutu CD quand même. Peine perdue, c'est impossible. Imprimante 2 - 0 Virgile.

En désespoir de cause, je pars à la recherche du CD original et finis par le retrouver quelques heures plus tard au fond d'un tiroir. Je l'insère dans ma machine (qui heureusement est assez vieille pour avoir encore un lecteur) et constate qu'il ne permet pas de configurer une imprimante sans l'avoir installée d'abord. La mienne est déjà installée, tant pis, réinstallons par dessus, je ne suis plus à ça près. Si ça se trouve, le logiciel est assez intelligent pour détecter que… Non, je n'ai rien dit, laissez tomber. Ça me demande donc de re-lire le contrat utilisateur pour rien, de re-copier douze mille fichiers pour rien, de re-répondre à un million de questions pour rien. (Non, je ne veux toujours pas que HP m'envoie des offres personalisées. Non, je ne veux toujours pas non plus que HP récupère les statistiques d'utilisation de mon imprimante.) Arrive enfin l'étape tant attendue de configuration réseau ! Je branche le câble USB comme demandé… et le logiciel se plante comme une merde. Je re-fais toute la procédure, pour être re-sûr. Ça re-plante. Imprimante 3 - 0 Virgile.

Retournons chercher de l'aide sur le site HP. Il s'y trouve justement toute une section consacrée aux imprimantes sans fil. Je déchante devant le marketing bullshit de la page, qui détaille certes diverses procédures techniques, mais en précisant bien que certains modèles peuvent se comporter différement, merci de vous reporter à la procédure d'installation originale de votre matériel. La procédure d'installation originale, on parle bien de celle que je ne peux pas télécharger parce qu'il parait que je n'en ai pas besoin, mais qui de toute façon se termine par un crash ?

J'apprends néanmoins qu'il existe une technologie révolutionnaire (ahem) : le WPS. Il suffit d'appuyer sur deux boutons, un sur l'imprimante, un sur le routeur, puis comme par magie, le WiFi se configure tout seul. Exactement ce qu'il me faut ! Pour conjurer le mauvais sort, j'évite de suivre l'astérisque vers la note de bas page qui explique toutes les situations où cette procédure pourrait ne pas fonctionner ; et j'appuie sur le fameux bouton. De l'imprimante. Parce que sur le routeur, de bouton, je n'en vois point. Une rapide recherche Google m'apprend effectivement que la freebox v6 ne supporte pas le protocole WPS et ne possède donc pas le bouton idoine. Imprimante 4 - 0 Virgile.

Quelqu'un connait un bon moine copiste ? C'est un peu plus lent en terme de nombre de pages à la minute, mais je suis sûr qu'en terme d'expérience utilisateur, c'est beaucoup moins éprouvant pour mes nerfs…

Hystérie collective

Comment se fait-il qu’à chaque fois que l’homosexualité est au devant de l’actualité, tout le monde devient hystérique et raconte n’importe quoi ?

Le service de com’ de l’Élysée déclare que l’homosexualité est un choix, une biologiste hétéro nous explique avec condescendance comment fonctionne l’orientation sexuelle et traite de trolls tous les pédés qui essaient de lui faire comprendre qu’elle ne sait pas de quoi elle parle, ceux qui défilaient hier contre nos droits se prennent de sympathie pour les victimes d’Orlando et les gens qui pointent leur indécence se font traiter de petits commissaires politiques et de fascistes, les réseaux sociaux sombrent dans un délire universaliste en pensant que l’homosexualité n’est pas très importante dans cette histoire, puisqu’après tout c’est juste un homo refoulé qui va dans une boite homo pour buter d’autres homos, cependant que les politiques et les éditorialistes assurent le service minimum parce que trop parler d’homosexualité en France c’est faire le jeu du communautarisme, ce qui chez nous est l’équivalent d’invoquer Satan en personne.

Ça me fatigue. La connerie, ça me fatigue tellement.

Et pendant ce temps, un éditorialiste de France Inter nous explique que finalement, si on regarde bien, l’homophobie régresse. Cool, tout va pour le mieux alors ! La société occidentale est tellement homophobe qu’elle engendre des gays qui détestent ce qu’ils découvrent être au point de se suicider dix fois plus que la moyenne, que se tenir par la main dans la rue reste une activité à haut risque, que l’immense majorité des homos ne sont pas « out » sur leur lieu de travail, que « pédé » est l’insulte la plus répandue et que « se faire enculer » est l’expression la plus méprisante dont dispose notre vocabulaire, que des millions de mecs préfèrent vivre malheureux avec une femme et sucer des bites d’inconnus la nuit sur des parkings plutôt que de faire leur coming out, mais circulez y a rien à voir, l’homophobie régresse on vous dit. D’ailleurs, si vous demandez autour de vous, la plupart des gens affirment se foutre de l’orientation sexuelle des autres, c’est bien la preuve que c’est un non-sujet !

C’est tellement un non-sujet que chaque fois qu’un truc impliquant des pédés fait la une de l’actualité, tout le monde ne parle que de ça pendant des jours.

Si ça continue je me casse au Canada. Il paraît qu’ils ont un premier ministre qui hisse un rainbow flag sur le Parlement et qui embauche un ministre Sikh portant le turban sans que ça déclenche une crise identitaire profonde chez la moitié de ses concitoyens. Ça doit être reposant.

De l’eau de là-haut

Le propriétaire d’un terrain est libre de disposer de l’eau de pluie qui s’y déverse. Nous avons donc souhaité récupérer cette eau afin d’alimenter les toilettes de la maison, ainsi que le lave-linge. Il ne s’agit pas de faire des économies, le système ne sera probablement jamais rentabilisé vus les faibles volumes en jeu et vu le coût dérisoire du mètre cube d’eau de ville chez nous. Il s’agit plutôt d’une démarche écologique et aussi, il faut bien le dire, de satisfaire les bricoleurs insatiables que nous sommes !

Quelques calculs pour commencer. D’après les archives météorologiques, il tombe environ 50 mm d’eau par mois dans notre région. Les pentes des gouttières, la disposition des tuyaux de descente et la forme de la maison nous permettent de récupérer facilement l’eau sur la moitié du toit, soit environ 40 m². Il est donc théoriquement possible de collecter 2000 litres par mois. Côté usage, si l’on compte 5 chasses d’eau de 10 litres par jour et 2 machines à laver de 40 litres par semaine, on atteint 1820 litres par mois. Les besoins devraient donc être couverts.

Mais entrons dans le vif du sujet !

L’eau qui descend des gouttières est collectée par des prises sur les tuyaux de descente, puis guidée vers deux citernes en plastique couplées de 310 litres chacune. Attention à installer au moins un des collecteurs de telle sorte que le tuyau de sortie soit horizontal : c’est ce qui permet à l’eau de refouler vers la gouttière puis vers les égouts lorsque les citernes sont pleines, plutôt qu’elles ne débordent par leur couvercle.

C’est le point faible de notre installation. Comme ces citernes sont à l’extérieur, elles sont sensibles au gel ; les températures sont rarement négatives par ici, mais ça peut arriver et il faudra surveiller le système ces jours-là. D’autre part, la contenance est insuffisante pour faire efficacement tampon. Il arrive qu’il pleuve alors que les citernes sont déjà pleines, et inversement, qu’il ne pleuve pas pendant des jours alors que les citernes sont vides. Enfin, ces citernes en plastique ne neutralisent pas l’acidité naturelle de l’eau de pluie. Des parois en béton, un matériau alcalin, auraient été préférables.

L’eau pénètre ensuite dans la maison par une canalisation en PER de 12 mm et descend par gravité vers une seconde cuve de 250 litres, située dans la buanderie à la cave. Cette cuve remplit deux offices : accroitre la capacité de stockage, à l’abri du gel de surcroit, mais aussi assurer automatiquement le relais par l’eau de ville en cas de déficit d’eau de pluie.

Ce relais est obtenu par le truchement de deux robinets à flotteur. Les robinets sont disposés de telle sorte que l’arrivée d’eau de ville soit assez haute pour ne jamais être en contact avec la surface de l’eau de pluie : ceci garantit que l’eau de pluie ne peut jamais être aspirée à l’envers dans le réseau d’eau potable et le contaminer. Outre notre sécurité sanitaire, la présence de cette déconnexion physique entre les réseaux est imposée par la réglementation. Les flotteurs des robinets sont réglés afin que la cuve se remplisse en priorité d’eau de pluie, puis seulement en dernier recours d’eau de ville. Comme on peut le voir sur la photo ci-dessous, ceci a nécessité une modification assez radicale de l’un des flotteurs…

L’avantage des robinets de chasse d’eau utilisés ici est qu’ils ne coûtent pas cher, se trouvent partout, sont faciles à bricoler pour s’adapter à l’usage voulu. Leur inconvénient est leur faible débit ; un problème aggravé ici par la faible pression due au faible dénivelé entre les cuves intérieures et extérieures. Il faut une bonne dizaine de minutes pour remettre la cuve à niveau après une chasse d’eau, une bonne heure après une machine à laver. Ça fonctionne chez nous, mais pour une famille nombreuse où six personnes tirent la chasse à la suite (au coucher par exemple), il existe un risque de vider entièrement la cuve secondaire et de désamorcer la pompe.

L’eau de la cuve est ensuite aspirée par une pompe et stockée sous pression dans un petit ballon. Une crépine permet de filtrer grossièrement l’eau pour protéger la pompe, tandis qu’un clapet anti-retour permet de maintenir la pression dans le ballon lorsque la pompe ne fonctionne pas. Sans clapet, l’eau refoulerait à l’envers à travers la pompe arrêtée et retournerait dans la cuve. Un capteur déclenche la pompe lorsque la pression dans le ballon chute sous 0,8 bars et l’arrête lorsqu’elle atteint 2,5 bars.

La pompe est fixée sur un support de caoutchouc, lui-même posé au sol sur quatre patins amortisseurs. L’aspiration et le refoulement sont connectés par des tubes souples. C’est que nous avions peur du bruit et des vibrations, surtout en cas de déclenchement en pleine nuit, lorsque quelqu’un tire une chasse d’eau à trois heures du matin. Mais à l’usage, ces précautions se sont avérées surdimensionnées : la pompe est relativement silencieuse et vibre peu.

L’eau de pluie est propre lorsqu’elle tombe du ciel, mais après avoir lessivé le toit puis stagné dans la gouttière avec les feuilles mortes et les déjections aviaires, elle est contaminée lorsqu’elle arrive dans les cuves. Elle doit donc être filtrée avant usage. Nous avons installé deux filtres en sortie de pompe. Le premier est un filtre bobiné 5 μm qui retient les impuretés ; le second est un filtre à charbon actif qui élimine les résidus de matières organiques susceptibles de conférer une mauvaise odeur à l’eau.

À la sortie des filtres, l’eau n’est bien sûr pas potable ; mais elle est largement assez propre pour servir à la chasse d’eau des toilettes et pour faire une lessive. À l’usage, nous avons constaté que le linge lavé à l’eau de pluie présente une odeur de frais moins marquée qu’habituellement. Je ne sais pas si c’est le fait de résidus organiques dans l’eau ou simplement l’absence totale de calcaire qui fait que la lessive et l’assouplissant se comportent différemment d’un point de vue chimique. Il est par contre beaucoup plus souple, moins rêche ; c’est très agréable.

Reste à faire : étiqueter clairement tout le circuit d’eau de pluie comme non potable. C’est une obligation légale, destinée à protéger de tout risque sanitaire un éventuel futur acquéreur de la maison.

Bilan après un peu plus de six mois : une diminution de notre consommation d’eau de ville d’environ 15 m³, soit 80 €. C’est conforme à ce que nous attendions et ça confirme que le système ne sera jamais rentable ! Surtout qu’il faut déduire le prix des consommables (les filtres) et de l’électricité pour faire tourner la pompe. Mais ce n’est pas très grave, ce n’était pas l’objectif.

Erreurs à ne pas refaire et choses apprises :

Exercice de style

Accompagner des pâtes, c'est un exercice de style, des variations sur deux thèmes imposés : produits frais et simplicité. S'il te faut plus de temps pour préparer la sauce des pâtes que pour faire cuire les pâtes, c'est que ta recette est trop compliquée. (Bon, sauf pour la bolognaise, mais parce qu'en vrai c'est pas une sauce, c'est un ragoût, donc ça doit mijoter des heures.)

La base : il te faut une casserole et une poêle. Dans la première, tu mets à bouillir de l'eau salée pour les pâtes. Dans la seconde, tu fais revenir une échalotte émincée dans de l'huile d'olive. De la bonne huile d'olive. Fuis les marques qui essaient de t'en vendre à prix d'or dans des bouteilles ouvragées façon parfum de luxe ; et aussi celles avec une carte de Toscane sur l'étiquette mais si tu regardes bien les petits caractères tu vois qu'elle est cultivée sous serre à Almeria. Prends plutôt celle-là, elle est bonne et pas trop chère. Mot-dièse bobo parisien.

Épluche et émince tes légumes. Ceux que tu veux, c'est ton exercice de style, c'est ta recette, pas la mienne. Disons un ou deux parmi : courgettes, poivrons, aubergines, olives, cœurs d'artichauts, câpres, asperges, tomates séchées… Et hop, dans la poêle avec l'huile chaude et l'échalotte. Sel. Poivre. Petite touche francese : du piment d'Espelette. Couvre et réduis à feu moyen. À ce stade, l'eau doit bouillir ; plonges-y les pâtes et déclenche le minuteur. Pour aider les légumes à cuire sans brûler au fond de la poêle, ajoutes-y régulèrement une demi-louche de l'eau de cuisson des pâtes.

À un moment, il va falloir que tout ça forme une sauce onctueuse qui pénètre dans les trous des penne et des pipe rigate, qui se loge dans les aspérité des farfalle, qui enrobe bien les linguine, qui adhère aux trofie. Sinon, c'est pas un accompagnement pour les pâtes, c'est juste des légumes d'un côté et des pâtes de l'autre. Deux solutions. Soit tu ajoutes à mi-cuisson une ou deux tomates bien juteuses et coupées en petits morceaux, soit tu ajoutes en fin de cuisson du fromage frais italien genre ricotta ou mascarpone. Tout dépend de tes légumes. Par exemple, les courgettes ou les brocolis, ça fonctionne bien avec la ricotta. Les poivrons ou les artichauts, ça fonctionne bien avec la tomate. Faut essayer et ne pas avoir peur d'improviser. Et toujours : un peu d'eau de cuisson des pâtes pour délayer si le résultat n'est pas assez onctueux à ton goût.

Dring ! Les pâtes sont cuites. Tu les égouttes grossièrement, tu les jettes dans la poêle avec les légumes et tu fais sauter trente secondes en mélangeant bien. C'est le moment d'ajouter du basilic ou du persil ciselé. Tu mélanges une dernière fois et c'est prêt. Normalement il ne s'est pas écoulé plus de quinze minutes depuis que tu as commencé.

Buon appetito !

Rétrospective 2015

photo

Si par hasard vous exploriez la pellicule de mon téléphone, pour 2015, vous trouveriez : l’arbre au fond du jardin dont la vue m’enchante tous les matins en ouvrant les volets, la fin d’un épisode professionnel mouvementé, la prairie derrière la maison, des courses au marché le dimanche matin, une gay pride, une randonnée avec des amis d’enfance dans la baie du Mont Saint-Michel, des kilomètres en moto, un nouveau boulot avec vue sur la Défense, quelques sorties à Paris.

Bonne année 2016 à tous !

Des races

Il y a une quinzaine d'années, un ami à moi est parti enseigner le français dans un pays du Proche-Orient. En préparation de cette mission, il a passé quelques mois à étudier la langue arabe… et à se laisser pousser une énorme moustache. Parce que dans cette région du monde, il tombe sous le sens que les hommes portent une énorme moustache tout comme dans d'autres régions du monde, il tombe sous le sens que les femmes portent des jupes.

Un soir qu'il rentrait chez lui à Paris, il s'est fait casser la gueule dans le métro. Les échanges verbaux précédant l'agression ne laissent aucun doute sur sa motivation raciste. Peu importe que cet ami soit châtain clair et qu'il ait les yeux bleus ; un moustachu qui lit un bouquin en arabe, c'était forcément louche, c'était forcément pas un bon Français bien de chez nous.

Le racisme n'a rien à voir avec la notion même de race. Ce n'est pas à cause de sa race que mon ami s'est fait agresser, et ce n'est pas en expliquant aux flics qu'il n'y a pas de différence génétique significative entre les Noirs et les Blancs qu'on mettra fin aux contrôles au faciès. Le racisme n'est pas une affaire de génétique mais d'intolérance à la culture de l'autre. Supprimer le mot race de la Constitution, faire intervenir des scientifiques dans tous les médias pour démonter les propos de Nadine Morano en expliquant que les races humaines n'existent pas, le re-tweeter trente-cinq fois par jour, c'est bien gentil, mais c'est complètement hors sujet.

Et d'ailleurs, même dans l'hypothèse où la génétique révèlerait l'existence de races humaines, le racisme n'en serait pas moins inacceptable.

Le problème est sociologique, politique, moral. Alors foutez-nous la paix une bonne fois pour toute avec vos considérations biologiques.

Vous avez encore regardé la télé

Tous les dimanches matin je me lève, je remonte mon fil Twitter et je constate que vous avez encore regardé ONPC.

Il y a des émissions nulles, des émissions insignifiantes, des émissions sans intérêt. On les regarde parce qu’on est crevé, qu’on n’a pas envie de se fatiguer les neurones, qu’on veut juste s’abrutir devant la télé. Et il y a des émissions nuisibles, comme ONPC et le JT de 13h de TF1. Celles-là, on n'a aucune excuse.

ONPC, ça consiste à inviter des gens qui font le buzz (c’est-à-dire : des gens racistes, sexistes, homophobes) juste parce que ça fait de l’audience, puis à leur poser des questions faussement sérieuses comme si on faisait une vraie interview mais en fait nan c’est juste pour déconner, à la fin on sort une bonne blague et tout le monde rigole. Ardisson faisait ça très bien. Ruquier le fait comme une merde. C’est lourd, poussif, pas drôle, et surtout dangereux.

Parce que grâce à Ruquier, tous les samedis soir, les pires raclures (c’est-à-dire : des gens racistes, sexistes, homophobes) ont libre antenne. Comme on leur pose des questions sur leur dernier bouquin, ils y répondent, ce qui consiste principalement à enfiler comme des perles les idées les plus nauséabondes les unes que les autres ; mais en face il n’y a aucune contradiction, aucun débat, parce que ce n’est pas une émission sérieuse et qu’on n’est pas là pour se prendre la tête. Juste une blague lourdingue pour conclure, si visiblement pas spontanée que c’en est gênant, quelques applaudissements sur commande, et on passe à l’invité politiquement incorrect (c’est-à-dire : raciste, sexiste, homophobe) suivant.

Parfois, il y a des invités « gentils ». Un chanteur inoffensif, un écrivain qui prône des idées progressistes, un acteur qui a joué dans un film populaire plein de bons sentiments. Je suppose qu’ils sont imposés par la chaîne à cause des contrats de promo entre maisons de production. Ruquier, ça ne lui plait pas, ça, ça ne fait pas de buzz, coco ! Alors puisque l’invité ne dit aucune énormité, il le fait interviewer par ses chroniqueurs décalés et impertinents (c’est-à-dire : racistes, sexistes, homophobes) qui eux, se chargeront des énormités.

Dans un éclair de lucidité, Ruquier a compris l’année dernière qu’offrir une tribune hebdomadaire à Zemmour était une erreur. Allez, encore en effort, et il comprendra que toute son émission est une erreur.

Lettre ouverte

Cher jeune-Sébastien-habitant-Marseille,

Je viens de lire la petite bafouille que tu as commise dans le Huffington Post. (Ça ne t’embête pas qu’on se tutoie, hein ?) Je ne te cache pas que j’ai fait un gros effort pour arriver jusqu’au bout, vu qu’il n’y a pas une seule ligne de ton texte qui ne m’ait pas fait lever les yeux au ciel et pousser des cris hystériques. Alors rassure-toi, je ne vais pas te faire la morale et te reprendre point par point, on en aurait pour la semaine, on a tous les deux mieux à faire et surtout, je ne crois pas que tu sois prêt à tout entendre. Mais il y a quand même deux ou trois choses que je tiens à te dire.

Tu refuses de te définir par ta sexualité, qui dis-tu, n’est qu’une facette accessoire de ta personnalité. C’est cool que tu voies les choses comme ça, mais pas très original parce que figure-toi que c’est le cas de la majorité des gens. Tu n’as rien compris. Tu prends le problème complètement à l’envers. Le souci n’est pas que tu refuses de te définir par ta sexualité, le souci est que les autres le font à ta place et ne te laissent pas le choix. Ce n’est pas une question individuelle, c’est une question systémique. Tu sors avec une fille ? Sauf situation exceptionnelle, tu peux la présenter à toute ta famille, à tous tes potes, la tenir par la main dans la rue, lui rouler une pelle sur le quai de la gare, mettre sa photo sur ton bureau pour l’avoir sous les yeux toute la journée, raconter les week-ends merveilleux que tu passes avec elle à tes collègues. Tu sors avec un mec ? Sauf situation exceptionnelle, tu ne peux rien faire de tout ça, ou alors avec précaution, en tâtant le terrain avant, et tu tomberas toujours sur un con qui se permettra une remarque déplacée. C’est pareil au niveau légal. La loi se tape complètement de l’importance que tu accordes à ta sexualité ou à la façon dont tu te définis, elle te définit de force au vu de la personne qui se trouve dans ton lit et sur cette base, elle te dit que tu n’as pas les mêmes droits que les autres. C’est de moins en moins vrai, heureusement ; il y a eu la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, puis le PaCS en 1999, puis l’alignement fiscal du PaCS sur le mariage peu après, puis le mariage en 2013 ; ce sont d’immenses progrès, mais il reste plein de choses à régler. Officiellement, comme l’homoparentalité ; mais aussi officieusement, comme le comportement des serviteurs de l’État face aux homosexuels. (Professeurs, policiers, juges… Les cas de discriminations sont innombrables.)

Comprends-moi bien. Je ne suis pas en train de rabâcher pour la énième fois que les homosexuels sont discriminés. Ça, on s’en fout, tout le monde le sait. Ce que je dis, c’est que tu es complètement à côté de la plaque quand tu dis que tu refuses de te définir par ta sexualité. Tu peux l’écrire autant que tu veux, tu peux même le penser sincèrement ; mais ça n’a pas la moindre importance, parce que le juge qui va refuser de te confier la garde de ton gamin parce que tu vis avec un homme, ou le mec qui va te casser la gueule dans la rue parce que tu as une tête de pédé, eux, n’en ont rien à foutre.

Après, tu affirmes que l’homosexualité n’est ni une culture ni une identité ni une communauté. Excuse-moi si je glousse. As-tu déjà regardé un film gay ? (Je peux te faire une liste, si tu veux.) La moitié des gags sont incompréhensibles pour un hétéro alors qu’ils sont directement compréhensibles pour un homo. Pourquoi ? Parce qu’ils sont basés sur des choses que la plupart des homos ont vécu un jour mais que la plupart des hétéros ne vivront jamais. Ce sont des choses parfois heureuses, parfois malheureuses, anecdotes de drague, plans cul, quiproquos, marques d’homophobie ou de discrimination, SIDA… Ces expériences forgent un vécu commun, partagé, marquant, exclusif, sur lequel nous pouvons construire notre mythologie, nos histoires, nos bouquins, nos chansons, nos blogs, nos films, nos styles vestimentaires (oui, parfaitement, nos styles vestimentaires), nos blagues qui ne font rire que nous, nos journaux, etc. Autrement dit : une culture et une identité. Tu ne le sais peut-être pas encore, mais ça a été très important, la culture gay. Et ça l’est sûrement encore. Par exemple, t’es tu déjà demandé comment les gays faisaient pour se reconnaître entre eux, et donc pour se rencontrer, avant l’invention d’internet ? Grâce aux lieux communautaires (écrase tes platform shoes de ma part dans la gueule des gens qui te disent que communautarisme est un gros mot), mais aussi grâce au gaydar. Comme on rêve tous de vivre dans un film de princesse, on aime bien se raconter que le gaydar est juste MA-GI-QUE, mais en réalité, c’est bien plus prosaïque ; on est juste sensible à des codes particuliers (bandana, piercing…), à une façon de s’habiller, de parler, de se comporter, en un mot : à une culture. Qu’on parvienne à identifier les signes de cette culture est bien la preuve qu’elle existe. (Évidemment, ce qui fout tout par terre, c’est que certains hétéros sont jaloux de notre bon goût et finissent par nous imiter. Du coup, on croit qu’ils sont homos aussi alors que c’est juste des copieuses. Ça fait des quiproquos et après il faut tout réinventer, c’est pénible. Bref.)

Il y a plein de trucs intéressants à dire sur la culture gay. Comment elle est façonnée « en creux » par le rejet de l’homosexualité par la société, comment inversement son existence modifie le reste de la société (par exemple, les hétéros qui copient les homos dont je parlais juste avant), comment elle vient aux homos… Parce qu’évidemment, les homos n’ont pas la « culture infuse ». Il y a un apprentissage. C’est en fréquentant d’autres gays plus âgés et des lieux communautaires, en regardant des films ou en lisant des bouquins qui leur parlent, la plupart du temps underground, qu’ils s’approprient ou refusent cette culture, et la font évoluer. Mais s’il y a bien un truc qu’on ne peut pas dire, mon cher jeune-Sébastien-habitant-Marseille, c’est qu’elle n’existe pas.

Enfin, tu dis que faire son coming-out est une violence, parce que tu penses que ton entourage va plaquer sur toi les pires représentations de l’homosexualité : débauche sexuelle, manières efféminés, pire ! Ils risquent d’imaginer que tu vas à la gay pride. (Probablement nu sur un char, en plus.) Primo, j’ai envie de dire : tu n’en sais foutre rien. Ne prends pas tes potes ou tes parents pour des abrutis, il te connaissent déjà et voient bien comment tu es, pourquoi veux-tu qu’ils aillent se faire une image de toi totalement contraire à ce qu’ils ont sous les yeux depuis vingt ans juste parce que tu leur présentes ton copain. Secundo, si tu trouves négatif d’être maniéré, efféminé ou d’aller à la gay pride, c’est toi qui a un problème. Tu ne peux pas à la fois regretter le jugement négatif des autres sur ce que tu es, et juger négativement d’autres personnes sur ce qu’elles sont. Tertio, tu n’as pas le choix. La visibilité est la seule issue. Individuellement parce que c’est la seule manière de pouvoir se mettre en couple sans sombrer dans la paranoïa à force de tout cacher, tout cloisonner, tout contrôler. Collectivement parce que c’est la seule manière de banaliser l’homosexualité. On a mis longtemps à la conquérir, cette visibilité. On ne fera pas marche arrière. On ne retournera pas dans le placard juste parce que tu as peur de dire à tes parents que tu suces des bites.

Maintenant, mon cher jeune-Sébastien-habitant-Marseille, veux-tu vraiment connaitre le fond de ma pensée ? Je pense que tu as parfaitement intégré tous les codes homophobes de la société française. Et là, tu découvres soudainement que tu es ce qu’on t’a appris à détester et à mépriser le plus. Du coup, tu exorcises en nous pondant un article pétri d’ignorance et de raisonnements foireux pour te justifier, te défendre, expliquer que toi tu n’es pas un homosexuel comme les autres, que ce sont les autres pédés qui sont détestables et méprisables, pas toi, toi tu es normal ! BO-RING. On est des millions à être passé par là avant toi.

Sauf que nous, on ne l’a infligé qu’à notre journal intime, pas à des dizaines de milliers de lecteurs.

Sur Pluton

Quelques réflexions en vrac et dans le désordre sur le survol de Pluton-la-planète-déchue par la sonde New Horizons. Attention, risques importants de chutes dans des vortex wikipédiens.

Je suis développeur

Je suis développeur.

Je corrige des bugs dans des applications écrites par d'autres. Je me bats avec les mises à jour de systèmes ou de compilateurs qui entraînent des choses qui ne marchent plus, des standards qui évoluent, des protocoles qui changent. J'éteins des incendies dans du code explosif que la direction a cru bon de sous-traiter en Inde. J'aide, je donne mon avis à droite à gauche – privilège de la séniorité, on me prend pour l'expert capable de résoudre en deux minutes n'importe quel problème. J'épluche les mille six cent cinquante avertissements chiés par le énième analyseur de qualité de code imposé par la direction, pour voir s'il n'y en aurait pas un qui serait pertinent (spoiler : non), ça ne sert absolument à rien mais ça fait bander un qualiticien dans un bureau au 4ème étage. Pour la millième fois, on me demande de chiffrer une fonctionnalité, pour la millième fois je réponds que je ne peux chiffrer que des tâches techniques et qu'il n'y a pas de correspondance évidente et immédiate entre les deux. Je mets en place la nouvelle méthode ou le nouvel outil de développement à la mode, ils n'apportent rien de plus que les précédents et changeront dans six mois, mais on est des geeks, on est bien obligé de rester à la pointe, tu comprends. Je rapporte dans des tableaux Excel de psychopathe ce que je fais minute par minute de mes journées (réunion de formation, réunion de gestion, réunion d'architecture, spécification produit, spécification technique, spécification technique détaillée, développement, écriture de tests unitaires, exécution de tests unitaires, correction d'un bug rapporté par un utilisateur, correction d'un bug de vérification, correction d'un bug de validation, gestion de projet, gestion de ressource, écriture de documentation réglementaire, écriture de documentation technique, autres tâches). On me forme à la procédure qui va me permettre de vérifier que la procédure qui sert à corriger un bug est bien opérationnelle et respectée (spoiler : elle ne l'est pas). Je développe des prototypes, j'implémente des fonctionnalités, qu'aucun utilisateur ou client final ne verront jamais parce que les commerciaux n'auront pas réussi à les vendre, ou le marketing aura changé d'avis, ou la boîte aura coulé avant la fin du projet.

Je suis développeur et ça fait maintenant trois ans que je n'ai pas développé une seule application[1].

Humanités

Chaque fois qu'un ministre fait un pas vers la disparition du latin et du grec au collège, les réseaux sociaux bruissent d'indignation et les arguments fleurissent, visant à démontrer que l'étude des langues mortes est utile.

Je trouve ça assez triste, cet utilitarisme. Qui a dit qu'on ne devrait apprendre à l'école que des choses utiles ? Et utiles à quoi, d'abord ? À une future vie de labeur en entreprise ? Comme par exemple la généalogie des rois de France et la décomposition d'un nombre entier en facteurs premiers ? Comme si les mêmes choses étaient utiles à un conducteur de métro, un pianiste, un archéologue, un ingénieur des ponts et chaussées, une infirmière, un intégrateur de sites web, un commis de cuisine… Ça n'a pas de sens.

Je ne crois pas que l'école et le collège soient là pour former de futurs travailleurs. Il y a les filières spécialisées et les études supérieures, pour ça : lycées techniques, universités, écoles d'ingénieurs, etc. À l'école et au collège, c'est encore trop tôt. L'écrasante majorité des élèves, à cet âge, n'ont pas d'idée précise et réaliste de ce qu'ils feront plus tard, et si jamais ils en ont une, la plupart du temps, par la grâce des aléas de la vie et de l'incompétence des conseillers d'orientation, ils feront autre chose.

L'école et le collège servent certes à inculquer des bases indispensables à la survie dans nos sociétés : lire, écrire, compter. Mais c'est anecdotique. Ils servent surtout à ensemencer des graines. Une graine de littérature par-là, une graine d'histoire par-ci, une graine de mathématiques par-là, une graine de sciences de la vie par-ci… Laquelle germera dans la tête de tel ou tel élève ? Assurément pas celle qu'on n'aura pas planté.

Impossible de savoir quels métiers, quelles compétences seront demandées dans vingt ans. Plantons donc le plus de graines possible ! De plus, il est bien connu que le nombre et la diversité des sollicitations intellectuelles sont une condition essentielle du développement du cerveau de l'enfant. Des élèves prennent leur pied à lire Eschyle ou Cicéron ? Et en plus c'est bon pour le développement de leurs facultés intellectuelles ? Mais que demander de plus !

Il ne faut pas conserver le latin et le grec parce que c'est utile. Il faut les conserver pour que la palette d'activités proposée aux enfants reste la plus vaste possible, et parce qu'il y a des élèves et des profs que ça éclate. Quand on s'éclate à l'école, c'est déjà à moitié gagné. Je préfère infiniment des élèves enchantés d'aller à un cours qui ne sert à rien plutôt que des élèves allant, emplis d'hostilité et de démotivation, à un cours qui sert.

Ressources Humaines

Certaines boîtes ont quand même des pratiques de recrutement étranges. Comme par exemple l'agence qui m'a fait lever à six heures du matin et traverser la moitié de la région parisienne sous la neige, pour un entretien d'embauche qui s'est avéré n'être qu'une suite de tests psychotechniques dignes des heures les plus sombres de la conscription.

Pas d'entretien en face à face, pas de présentation du poste proposé, pas d'échange autour de mon CV. Non, juste des tests, puis des tests, puis encore des tests. Et une photo pour finir, souriez un peu, parce que vous comprenez, nous recevons beaucoup de candidats, nous ne nous rappelons pas toujours de tout le monde. Comment ? Faire se sentir unique chaque candidat dans une entreprise à taille humaine ? Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

Donc, pour commencer, un test de personnalité façon Psychologie Magazine qui sera probablement dépouillé par un DRH aussi compétent en interprétation de tests psychologiques que moi pour dire la liturgie orthodoxe en slavon septentrional. Des questions du genre, s'il se passe ceci pendant le développement du projet, comment réagissez-vous, cochez au maximum trois réponses parmi celles proposées ci-dessous. Et chaque fois, dans ma tête, une petite voix déçue qui me soufflait : oh, zut, il n'y a pas la réponse « j'en ai rien à branler »…

Puis un test de logique, très classique, des suites de chiffres, de lettres ou de figures géométriques à compléter. Je n'ai eu le temps d'en faire que les trois quarts, parce que mon cerveau pervers ne pouvait s'empêcher de divaguer à chaque série sur le thème : je suis sûr que je peux répondre n'importe quoi au hasard et malgré tout trouver une logique pour justifier ma réponse. C'est facile, il existe toujours au moins une fonction raisonnablement simple et logique qui passe par toutes les valeurs d'une série arbitraire. Mais je suppose que le fait que je n'ai pas fini le questionnaire dans le temps imparti sera plutôt interprété comme le fait que je ne travaille pas assez vite.

Puis enfin, une série de vingt-cinq exercices mathématiques. Du moins est-ce ainsi qu'on me les a présentés. En réalité, il s'agissait plutôt d'arithmétique. Élémentaire. Niveau CM1/CM2. 3 pommes coûtent 1,50 €, combien de pommes puis-je acheter si je dispose de 5 €, sachant que je veux aussi 2 carambars à 0,25 €. Dans une entreprise de 80 salariés, 35 % sont des hommes, combien y a-t-il de femmes. Bon, j'exagère, il y avait aussi des questions plus subtiles ; par exemple, un problème nécessitait de réduire des fractions au même dénominateur. Oh là là, attention, niveau 4ème ou 3ème au moins ! Tout à fait adapté pour évaluer un candidat à un poste d'ingénieur, donc.

Quel que soit le bout par lequel je prends la chose, j'arrive à la même conclusion.

Est-ce que ces gens m'ont convoqué à cet entretien sans avoir lu mon CV ? Alors ce sont des cons. Est-ce qu'ils ont lu mon CV et en ont déduit que c'était pertinent de vérifier que je savais faire des règles de trois ? Alors ce sont des cons. Est-ce qu'ils ne se posent aucune question et appliquent un processus de recrutement identique pour tout leur personnel, quel que soit le poste et quel que soit le candidat ? Alors ce sont des cons. Est-ce qu'ils pensent pouvoir garantir le bon fonctionnement d'une équipe projet en sélectionnant des profils psychologiques avec ce genre de test ? Alors ce sont des cons. Est-ce qu'ils envisagent le recrutement comme un processus unilatéral, juste trouver la pièce qui a la bonne forme pour rentrer dans le bon trou, et non comme la rencontre d'une personne et d'une entreprise qui doivent s'apporter mutuellement pour que ça fonctionne ? Alors ce sont des cons. Est-ce que tout ça ne sert qu'à piéger le futur salarié, une sorte de test déguisé qui permet moins d'évaluer les compétences réelles du candidat que ses réactions ? Alors ce sont des cons.

Inutile de dire que s'ils retiennent mon dossier, notre collaboration va débuter sur de bonnes bases.

Dessins

Quelques dessins. Rouges. Glanés ici et là. Parce que pour l'instant, je ne suis pas capable de mettre des mots.

(Crédit : Mathieu Mizzon.)
(Crédit : Mathieu Mizzon.)
(Crédit : JM Nieto.)
(Crédit : JM Nieto.)
(Crédit : Ana Juan)
(Crédit : Ana Juan)
(Crédit : Boz.)
(Crédit : Boz.)
(Crédit : Mana Neyestani.)
(Crédit : Mana Neyestani.)

Quand le progrès marche à l'envers

Le Kindle représente la quintessence du contraire de ce que doit être une liseuse. C’est fermé, compatible avec rien, entièrement orienté vers la vente de contenu sous copyright, les fonctionnalités sont volontairement limitées par des choix commerciaux plutôt que par les possibilités de la technologie… Il y a même de la publicité.

Ce que j’attends d’une liseuse ? La même chose que ce que j’attends de mon lecteur MP3 : je charge dessus les fichiers que je veux, provenant d’où je veux, selon le moyen que je veux, ça m’en affiche la liste selon un classement logique, puis je peux lire n’importe quel fichier qui sera rendu de la même manière que je sois sur le lecteur de ma voiture, de mon téléphone, de ma chaine de salon ou de mon ordi portable. En fait, c’est ce qu’on attend tous de n’importe quel logiciel.

Ce que propose le Kindle à la base ? Je ne peux y charger que des fichiers dans un format propriétaire, venant de la boutique d’Amazon, ça m’en affiche la liste dans un ordre dont je n’ai toujours pas compris la logique et que je ne peux pas configurer, et le rendu est spécifique au Kindle (le même bouquin sur une autre liseuse a un aspect différent). Tout est orienté autour d’Amazon : tout passe par leur plateforme, il y a des bandeaux de pub pour vous vendre plus de bouquins et plus de services, il y a des options qui frôlent la vente forcée, genre l’achat automatique du tome N+1 quand vous avez presque fini de lire le tome N d’une série. Le système est inutilisable, même pour lire des œuvres libres de droits, si vous n’avez pas un compte, une carte bancaire et une connexion WiFi, ceci étant bien sûr un choix marketing et non une contrainte technique.

Certes, il y a moyen de contourner. Il existe différents outils permettant de convertir les eBooks classiques au format Kindle ; outils qui au passage rivalisent de lourdeur et d’anti-ergonomie. Ça ne fonctionne pas trop mal pour du texte simple, mais il y a des (mauvaises) surprises avec les mises en page plus évoluées. On peut ensuite charger le fichier obtenu par un câble USB ; mais alors, ces livres n’apparaissent plus dans votre bibliothèque, mais dans une section un peu planquée intitulée « Documents personnels ». Eh oui, pour Kindle, ce ne sont pas de vrais livres, puisque vous ne les avez pas achetés chez Amazon… Du coup, comme ce ne sont pas de vrais livres, un certain nombre de fonctionnalités n'y sont pas applicables, par exemple la synchronisation par réseau.

Le Kindle est un magnifique exemple de ce que le marketing numérique fait de pire : appâter avec un produit pas cher, mais en réalité tellement fermé et orienté que la plupart des usages qui semblent naturels et légitimes sont impossibles, au profit d’autres usages, plus rémunérateurs pour l’entreprise. C’est que le marketing vous arnaque en jouant dès le départ sur une ambiguïté : vous croyez acheter des livres ; en réalité, Amazon vous vend seulement un droit limité à lire son contenu. Limité, car si votre liseuse tombe en panne, du fait du format propriétaire et du fonctionnement en cloud, vous perdez les livres qui sont dessus, sauf à racheter un appareil équivalent ; de même si Amazon ferme, ou ne peut plus pour des raisons techniques, ou ne veut plus pour des raisons commerciales, proposer le service. En fait, Amazon qualifie de vente ce qui est une location, puis essaie de vous convaincre que c’est pour votre bien en vous vantant tout ce que ça permet de faire. Or le problème n’est pas tout ce que ça permet de faire de plus qu’un livre papier, mais bien tout ce que ça permet de faire de moins – sans aucune justification technique.

(Il est amusant de noter que l’industrie de la musique a tenté la même approche marketing à ses débuts, avec des formats audio propriétaires, des plateformes fermées, des DRM, des fichiers lisibles sur un nombre limité d’appareils, etc. Et ils se sont ramassés comme des merdes.)

Au delà de l’arnaque du client, au delà de l’expérience utilisateur calamiteuse, je trouve très décevant qu’un progrès technologique (car la liseuse est un énorme progrès, je ne pourrais plus m’en passer personnellement) qui devrait favoriser la diffusion et surtout la production de contenu, fasse en réalité tout le contraire. La vraie révolution du numérique et d’internet en particulier ? Tout le monde peut produire du contenu. Avant, pour publier de la musique, il fallait une maison de disques ; pour publier des textes, il fallait une maison d’édition. C’était justifié par des contraintes matérielles (presser un disque ou imprimer un livre n’est pas trivial), mais de fait, ça introduisait un filtre sur le contenu, les producteurs ayant tendance à ne produire que ce qui avait un intérêt commercial.

Maintenant, tout le monde peut produire du contenu. Ça a des conséquences immenses sur la société, sur la politique, sur le fonctionnement de la démocratie, sur l’économie… Par exemple, dans un domaine qui me touche particulièrement, le droit des minorités, un nombre hallucinant de textes essentiels ont pu être diffusés plus largement grâce au numérique et à internet. Dans le domaine de l’industrie, beaucoup d’entreprises ont pu concevoir des produits innovants grâce à des connaissances (des algorithmes, par exemple) accessibles sur internet. Dans le domaine de l’information, typiquement lors du printemps Arabe, nous avons tous constatés la supériorité et la réactivité des réseaux sociaux par rapport aux journaux traditionnels.

Avec les liseuses actuelles, on en revient à cette vieille idée dépassée qu’il y aurait quelques producteurs, qui savent ce qui est bon pour les masses, et des consommateurs, qui consomment bien gentiment. Amazon propose bien un système d’auto-publication permettant à n’importe qui de diffuser ses écrits ; mais c’est encore un système fermé, bien moins souple, moins pratique et moins universel qu’un simple ePub déposé sur un site web correctement référencé par les moteurs de recherche.

Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer l’immense arnaque des éditeurs qui vendent au même prix un ouvrage papier, qui est un bien matériel épuisable, aux coûts de fabrication et de distribution incompressibles, et un ouvrage numérique, qui est un simple fichier réplicable à l’infini pour un surcoût négligeable. L’arnaque ne se limite pas au client d’ailleurs, mais s’étend aussi aux auteurs : j’ai ouï dire que certaines maisons, profitant de clauses stipulant des « droits de reproduction sur tous supports » sur des contrats signés il y a 20 ou 30 ans, à une époque où on n’imaginait même pas qu’un jour les liseuses existeraient, ressortaient de vieux ouvrages au format numérique sans reverser un kopeck aux ayants droits.

Avec Kindle, j’ai un peu l’impression que le progrès marche à l’envers. Mais j’ai bon espoir que la gamelle à venir, comme celle qui est tombée sur l’industrie de la musique, remette le progrès en marche dans le bon sens d’ici pas trop longtemps…

Trollons la GPA

Au départ, je n'étais ni favorable ni hostile à la GPA. C'est exactement le genre de sujet pour lequel je trouve qu'il n'y a que des mauvaises solutions. Comme souvent dans ces cas-là, mon vieux fond anar refait surface et me souffle : que chacun fasse comme il veut en accord avec sa propre conscience, vu que ça ne perturbera pas l'équilibre du monde, vu qu'il s'agit d'une pratique qui restera toujours ultra-confidentielle, vu que je me suis laissé dire que l'écrasante majorité des couples avaient un moyen plus simple et relativement agréable de faire des bébés.

Hélas, la MPT a mis le sujet sur le tapis et comme chez nous, c'est l'extrême-droite qui fixe les termes du débat et l'agenda médiatique, il se trouve depuis deux ans tout un tas de personnalités pour tomber dans le piège de croire qu'on les somme de dire qu'ils sont contre. D'illustres intellectuel-le-s signent donc des tribunes et des pétitions, des éditorialistes prennent position, des politiciens de tous bords lâchent des petites phrases, des papes font la morale au parlement européen ; des élus déposent même des propositions de loi visant à interdire la GPA – ce qui est fascinant en terme de gaspillage d'énergie parlementaire puisqu'elle est déjà interdite.

N'ayant pas trop d'avis et souhaitant m'en forger un, je me suis donc intéressé au discours des opposants. Et ça m'a semblé plutôt pauvre. (En même temps, si la qualité des débats politiques atteignait des sommets, ça se saurait.) Au point que plus je lisais leurs arguments contre, plus j'avais envie d'être pour.

Le reste n'est qu'imprécations catastrophistes à base de rupture anthropologique, de retour des Lebensborn et de fin de la civilisation – comme à peu près chaque fois qu'émerge une nouveauté depuis l'origine de l'humanité. Le réac est conservateur jusque dans son argumentation.

Si je voulais troller, je proposerais bien une solution : autoriser la GPA, mais interdire catégoriquement qu'elle soit rémunérée. Ça résout tous les problèmes à la fois ! On répond à la demande des couples stériles, c'est raccord avec la pratique actuelle (à l'œuvre dans les greffes par exemple) de non commercialisation du corps humain, pas de pression économique sur les femmes puisque la seule motivation serait l'altruisme, pas de risque de trafic ou de filière illégale puisque ça ne pourrait pas rapporter d'argent.

Allez, on fait comme ça et on n'en parle plus.

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