Victoire idéologique
Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Quand j’étais adolescent, dans mon quartier, dans mon milieu, dans mon lycée, être raciste était la dernière des tares. Traiter quelqu'un de raciste était une insulte grave, l’association SOS Racisme venait de se créer avec leur fameux slogan « touche pas à mon pote », le MRAP commençait à faire parler de lui, il y avait eu la Marche des Beurs entre Marseille et Paris, notre prof de français nous avait emmené voir le film Train d’enfer et toute la classe en était ressortie révoltée, et quand le FN avait fait péter les scores en 1986, les Béruriers Noirs avaient répliqué avec Salut à toi et bien sûr avec La jeunesse emmerde le Front National.
De nos jours, être raciste est une option acceptable. Certes, c’est toujours condamné par la loi, mais tout le monde s’en fout. Brice Hortefeux insulte régulièrement les Arabes ou les Rroms depuis cinq ans sans que personne ne bronche, sauf la gauche, mais justement, que la gauche s’indigne est interprété comme une preuve qu’être raciste est cool puisque ça fait râler les « bien-pensants ». Claude Guéant truque des statistiques pour « prouver » que les immigrés réussissent moins bien à l’école que les bons petits Français, l’INSEE s’indigne, l’affaire occupe les premières pages de Libé pendant trois jours, puis tout le monde oublie. Des gens comme Philippe Bilger ou Robert Ménard réclament le droit de dire que les immigrés sont majoritairement des délinquants « au nom du droit à décrire le réel » (sic) et il ne se trouve pas un seul journaliste en face pour leur répondre qu’interpréter le réel par le seul prisme de l’ethnie est une analyse quand même vraiment très faible, et de surcroît, fausse.
Je ne comprends pas ce qui s’est passé, mais j’en ai une petite idée. La droite a gagné sur le plan idéologique, et plus particulièrement sur l’idée qui veut que les gens soient responsables de ce qui leur arrive – ou pire, que cela résulte d’un ordre naturel. Dans les années 80, les pauvres étaient vus comme un effet secondaire négatif du système économique. Maintenant, on admet facilement que si les pauvres sont pauvres, c’est soit parce que ces feignasses ne se bougent pas assez le cul, soit parce qu’ils sont naturellement inadaptés à notre monde, et dans ce cas on ne peut rien pour eux. Idem pour les étrangers. Oh, bien sûr, on ne leur reproche pas leur couleur de peau ou leur lieu de naissance, ça, même la droite a conscience que ce serait idiot ; mais on leur reproche de ne pas vouloir vraiment s’intégrer, de ne pas oublier leur culture pour adhérer pleinement à la nôtre, on leur reproche de vouloir pratiquer une religion pas catholique, de ne pas faire assez d’effort pour parler parfaitement notre langue, etc. En fait, on leur reproche de faire exprès d’être différents, tout comme on reproche aux pauvres de faire exprès d’être pauvres.
Les débats sur l’identité nationale, la loi sur le voile, les propos racistes de nos ministres ou du chef de l’État, ça peut paraître n’être que des mots, mais de l’autre côté du téléviseur, il y a des gens qui les encaissent. La grossièreté des flics avec tout ce qui est basané, les tracasseries administratives délirantes pour tout ce qui n’est pas né dans l’hexagone, les délits de faciès permanents, ça peut paraître n’être que des brèves dans les journaux, mais ce sont de vrais gens qui les encaissent.
Traiter les gens comme de la merde, tôt ou tard, ça finit par faire de la merde. Je ne suis pas très confiant en ce que nous réserve l'année 2012.