Lutte des classes

Lorsqu’une société grossit, il y a un moment où elle passe un cap pénible, le moment où elle passe de l’esprit start-up à l’esprit multinationale. Le seuil se situe à mon sens autour de cinquante employés mais évidemment, ça varie selon le contexte, le domaine et les personnalités de chacun.

Dans les petites entreprises, la hiérarchie est uniquement « mentale ». Chacun sait qui est son supérieur ou ses subordonnés, mais ça ne concerne que l’organisation du travail. En pratique, tout le monde partage le même open space, tout le monde a le même équipement pour bosser, chacun participe aux tâches communes selon ses compétences (l’administration du réseau ou du parc informatique par exemple), tout le monde a son importance dans le fonctionnement de la boite. En revanche, dans une grosse entreprise, la hiérarchie n’est pas que mentale : elle devient spatiale, géographique, matérielle. Les managers ont des bureaux individuels tandis que les autres employés sont parqués à quinze ou vingt dans des open space. Les premiers obtiennent facilement satisfaction quelles que soient leurs demandes, tandis que les seconds doivent négocier pendant deux semaines pour avoir trois stylos et demi ou pour changer de place dans l’open space. Alors qu’auparavant, on pouvait interpeller son chef pour lui demander un renseignement à la bonne franquette, il faut dorénavant se rendre physiquement à son bureau pour lui demander s’il peut nous recevoir, voire même, prendre rendez-vous. En fait, il apparait une structure de classe, au sens sociologique du terme : des gens privilégiés et des gens non-privilégiés, des gens qui se sentent supérieurs et des gens qui se sentent inférieurs.

Qui dit classe dit lutte des classes. La hiérarchisation des employés génère de facto un état d’esprit particulier : certains vont vouloir gravir les échelons à tout prix et pour ce faire n’hésiteront pas à se comporter en gros connards, d’autres vont se sentir rabaissés par l’entreprise et décider que puisque c’est comme ça, ils ne foutront plus une rame, d’autres encore vont jouir du maigre pouvoir que leur confère leur position et devenir de parfaits petits chefs tyranniques.

Et puis les gens se spécialisent, de nouvelles règles apparaissent. Forcément. On ne gère pas de la même façon une équipe de dix geeks motivés par l’esprit start-up et une masse de cent salariés aux objectifs divergents et aux compétences diverses. Il y a dorénavant un code sur la photocopieuse, un proxy à la con sur l’accès internet, le service informatique fourre sont nez partout et vous interdit d’installer votre logiciel favori sur votre propre machine, il faut remplir dix-sept formulaires contres-signés par la moitié de sa chaine hiérarchique pour obtenir le code de la borne WiFi, on vous impose une signature de mail (très laide de surcroit) standardisée, il devient strictement interdit de manger à son bureau – sauf en cas de coup de bourre, auquel cas on sera ravi que vous passiez l’heure du déjeuner à bosser un sandwich à la main, et mille autres petites règles infantilisantes du même genre.

Il y a deux types de salariés. Ceux qui vivent ça très bien : ils aiment l’anonymat des grosses boîtes, se foutent qu’on les traite comme des gamins, supportent la lourdeur administrative, ils ne sont motivés que par des considérations alimentaires. Et ceux qui vivent ça beaucoup moins bien : ils préfèrent les petites boites où il est plus facile de faire respecter ses idées et sa conception du boulot, où l’on peut travailler vite et sans entrave administrative, où l’on est motivé par le fait que son boulot compte, immédiatement et visiblement.

Je pense que dans ma boite, beaucoup de salariés historiques, du second type, vont démissionner en masse dans les mois qui viennent ; et être remplacés par des salariés du premier type. Pas sûr que la société y gagne à court terme.

La soupe de Proust

Un jour, un mec a mangé une madeleine. Moi, c’était de la soupe. La soupe que faisait ma grand-mère il y a trente cinq ans, les soirs où je mangeais et dormais chez elle parce que mes parents étaient occupés ailleurs.

Une soupe toute simple, qu’il m’arrive régulièrement de cuisiner moi-même. Une pomme de terre, une carotte, deux ou trois navets, une branche de céleri, un blanc de poireau, on découpe tout ça en petits dés, on couvre largement d’eau, on ajoute un Kub Or, on fait bouillir 20 minutes. Puis on ajoute une poignée de pâtes alphabets ou de cheveux d’anges et on fait encore cuire quelques minutes. Voilà, c’est tout.

À chaque fois je revois la petite cuisine en Formica, la nappe en toile cirée, la cuisinière à gaz avec la lourde bouteille de Butane sous l’évier qu’il fallait changer régulièrement, la petite casserole en aluminium toute cabossée avec son manche en bois mal ajusté… Évidemment, comme tous les enfants, je passais de longues minutes à faire des mots avec les pâtes alphabet sur le bord de l’assiette, et je me faisais engueuler après parce que la soupe était froide. Après manger, je m’isolais dans la buanderie pour mettre mon pyjama (hors de question de me déshabiller devant mes grands-parents !) puis on dépliait pour moi le canapé convertible en cuir du salon. On regardait un peu la télévision et on allait se coucher. Parfois, quand je n’entendais plus aucun bruit, je me relevais discrètement pour aller chiper un chamallow ou une fraise tagada dans la bonbonnière que ma grand-mère gardait toujours bien remplie sur la petite table du salon ; mais chut !

Il y a quantité de plats que je mangeais chez ma grand-mère et que je n’ai jamais mangé ailleurs. Une question de génération, je suppose. Elle raffolait du cœur de bœuf, des pieds de porc panés en gelée, des rognons… Sans oublier le steak de cheval, cru ou cuit selon son humeur. J’ai de très bons souvenirs du tartare de cheval, qu’elle préparait avec de la moutarde, des câpres, du sel, du poivre et un jaune d’œuf. (Et à l’époque, j’étais trop jeune pour percevoir l’ironie de mon grand-père qui pendant ce temps, le nez dans le dernier Paris Turf, perforait ses tickets de PMU avec la petite pince spéciale qu’on ne trouve probablement plus nulle part de nos jours.) Curieusement, malgré ce bon souvenir, je n’en ai jamais remangé depuis. Je devrais peut-être acheter des lasagnes Findus…

Mais si ma grand-mère m’a fait découvrir des tas de plats oubliés, je n’ai en revanche jamais réussi à lui faire manger cet autre genre de plat oublié que sont les topinambours. L’effet magdaléno-proustien fonctionnait pour elle aussi, je suppose, et contrairement à moi avec sa soupe, cela ne devait pas lui ramener de bons souvenirs en mémoire.

Ma meilleure ennemie

Je suis du genre angoissé. Depuis aussi longtemps que je me rappelle. Je n’y peux pas grand chose, c’est physiologique, Dame Nature m’a fabriqué comme ça. Mon logiciel interne de régulation du stress est dans les choux. Il fonctionne n’importe comment. Oh, j’ai bien lu, et mon médecin m’a expliqué, tout un tas de théories sur la chose. De la psychologie à base d’attachement insecure à la mère dans la petite enfance, de la physiologie à base de prédisposition génétique ou de tumeurs sécrétantes sur diverses glandes… Ca me fait une belle jambe. Les tumeurs, on n’en a jamais trouvé aucune, et la relation avec ma mère ou mon patrimoine génétique, c’est un peu tard pour y changer quoi que ce soit.

De toute façon, séparer le psychologique du physiologique quand on parle d’angoisse est inepte. Les deux sont intimement liés, l’angoisse génère des symptômes physiques et les symptômes physiques génèrent de l’angoisse en un cercle vicieux délétère. Je me méfie donc des explications simplistes et mécanistes, du genre, il vous est arrivé ceci dans l’enfance donc vous serez comme cela à l’âge adulte.

L’angoisse. Vous voyez ce qu’est la peur ? Par exemple quand vous venez d’éviter un accident de justesse, ou bien lorsque vous vous trouvez dans une situation vraiment dangereuse ? Le rythme cardiaque qui s’affole, la respiration qui s’accélère, la sensation de chaleur dans la poitrine, l’envie de pisser, le sentiment de panique ? Eh bien l’angoisse, c’est la même chose, sauf qu’il n’y a pas de cause objective identifiable à cette peur. Le gars qui a peur des chiens, il peut éviter les chiens. Le gars qui a peur de la foule, il peut éviter la foule. Le gars qui a peur de l’avion, il peut éviter de prendre l’avion. Le gars angoissé, qui a peur sans cause identifiable, il ne peut rien éviter, parce qu’il ne sait pas quoi éviter.

Le psychisme peut simuler pratiquement n’importe quel symptôme physique, et le mien ne se prive pas de jouer sur toute la palette disponible. Un coup ce sont des vertiges, un coup c’est la tension artérielle qui tombe brutalement, un coup c’est le rythme cardiaque qui s’effondre ou qui accélère pendant quelques heures, un coup c’est de l’hyper-ventilation, un coup ce sont des salves d’extra-systoles, un coup ce sont des douleurs thoraciques, ou lombaires, ou intercostales, ou n’importe où ailleurs. Le plus souvent, il y a plusieurs symptômes à la fois. J’y suis habitué : ces phénomènes ne m’inquiètent plus, j’essaie de les ignorer du mieux que je peux. Mais mon inconscient est un animal pervers ; chaque fois que j’apprends à gérer un symptôme, il en invente un nouveau…

Les médecins, tout imprégnés qu’ils sont de l’esprit de Descartes, ne sont pas habitués à diagnostiquer et traiter ces manifestations sans support physiologique apparent. Ils s’y connaissent en microbes et en plomberie, mais ils sont perdus devant un cerveau qui invente des symptômes à l’insu de son propriétaire. Il a fallu que j’en rencontre une bonne dizaine avant que vers l’âge de 25 ans, une jeune toubib me dise un jour : « Mais Monsieur, tout ce que vous me décrivez là, c’est juste de l’angoisse ! Attendez, on va faire une expérience pour le vérifier. » Elle m’a donné un comprimé et m’a demandé d’aller faire un tour et de revenir un peu plus tard. Une heure après, j’étais de retour à son cabinet sans le moindre symptôme. Incroyable. Le comprimé ? C’était un anxiolytique. La démonstration imparable. La preuve par neuf. Une révélation. Un nom sur mon problème.

Je m’imagine volontiers le stress comme une grandeur mesurable, que l’on peut additionner ou soustraire. Dans la vie de tous les jours, la somme des petites contrariétés quotidiennes le maintient à un niveau « de base ». Ensuite, chaque événement imprévu (ou parfois, la simple perspective d’un événement imprévu) en rajoute ; et dès qu’on dépasse un certain seuil, les symptômes physiques commencent. Chez la plupart des gens, ce seuil est élevé. Chez moi, il est au raz des pâquerettes. Du coup, il m’en faut assez peu pour passer dans la zone rouge. Ma stratégie consiste à abaisser au maximum le niveau de stress de base, de façon à gagner un peu de marge. Ça passe par tout un tas de petits détails : habiter à la campagne plutôt que dans l’agitation des villes, avoir un boulot plutôt tranquille, éviter les situations « phobiques » comme la foule, etc.

Ca se passe plutôt bien, je gère. Mais il y a quand même des périodes difficiles. Les années 2002 et 2003, par exemple. Vous vous rappelez la scène d’ouverture du film Copycat ? Voilà, tout pareil. L’agoraphobie à son paroxysme : impossible de sortir de chez moi sans être pris de vertiges et de malaises. La seule différence, c’est que l’héroïne du film vivait ça en permanence, alors que moi, c’était seulement le matin. Pourquoi ? Demandez à mon inconscient, moi je n’en ai aucune idée. Mais tant mieux, ça m’arrangeait bien, je pouvais encore aller travailler l’après-midi. (Le matin, c’était télétravail obligé.)

Dans ces cas-là, la solution est surtout médicamenteuse. Mes amies les benzodiazépines. Un petit comprimé et tout disparait ! C’est miraculeux, mais c’est transitoire. Impossible de prendre un tel traitement à vie. Il y a accoutumance et dépendance. La phase de sevrage est souvent difficile, il faut décroitre les doses le plus progressivement possible. On se retrouve à couper les comprimés en deux, puis en quatre, voire plus, parce que passer directement de un comprimé par jour à zéro déclenche un syndrome de manque. Du coup, les (bons) médecins hésitent à les prescrire, ce n’est pas facile de s’en procurer ; et je n’aime pas trop en prendre, parce que quand on commence, on ne sait jamais quand on pourra arrêter. Une fois, il y a longtemps, dans les années 1990 je crois, j’ai dû passer presqu’une année complète sous benzos ; la durée maximale de prescription est officiellement de 12 semaines…

Ces derniers temps étaient plutôt tranquilles. Et puis il y a quelques mois, ma meilleure ennemie l’angoisse est revenue. Plus vivace que jamais, et avec de nouveaux symptômes inédits ! Aucun doute sur ce qui a fait péter les défenses : le cumul d’une situation professionnelle merdique et d’un débat non moins merdique sur le mariage pour tous. J’ai changé de poste à mon boulot et le premier article de la loi ouvrant le mariage aux homosexuels a été adopté ce midi. La situation devrait donc revenir à la normal assez rapidement. D’ici là, je découpe des comprimés en quatre.

Winter Pride II

Je ne comprends toujours pas très bien pourquoi il faut manifester pour un texte qui emporte l’adhésion de la majorité des Français et qui, sauf accident parlementaire, n’a aucun risque d’être rejeté. Mais bon, le gouvernement a besoin qu’on lui botte le derrière, bottons donc. Au moins, à défaut d’avoir la moindre utilité politique, cette sympathique manifestation nous aura permis d’oublier les tristes slogans du 13 janvier.

Tout en marchant hier, je me faisais la réflexion que la posture de l’UMP est peut-être en fait la seule qui lui reste. L’électorat de droite est encore majoritairement réticent au mariage des homosexuels, et vu la violence des débats, c’est un sujet qui semble lui tenir à cœur. L’UMP cherche donc sans doute à coller au plus près à l’opinion de cet électorat, avec la crainte que si elle ne le fasse pas, ce dernier ne fuie encore un peu plus à droite et aille gonfler les rangs du FN. Voilà qui expliquerait l’unité affichée et l’énergie investie. Car il y a clairement unité : Fillon, Copé, NKM ou Guaino employant les mêmes éléments de langage, c’est bien la preuve qu’il s’agit d’une stratégie d’opposition décidée tout en haut de l’UMP, et non d’opinions individuelles.

Mais que l’UMP n’ait pas d’autre choix politique ne change rien au fait que je n’oublierai rien. Pas un mot, pas un slogan, pas une déclaration. S’opposer à un projet de loi, pourquoi pas, nous accuser de pédophilie, d’inceste, de rupture anthropologique, appeler une partie de la population à descendre dans la rue contre une autre partie de la population, menacer de dissoudre mon mariage lorsque la droite reviendra : non. C’est inacceptable. Vous n’êtes pas en train de parler du prix du saucisson. Vous êtes en train de décider de la vie des gens. Vous êtes en train de hiérarchiser les individus. Et je n’oublierai pas non plus quels médias nous ont soutenus et lesquels nous ont enfoncés, lesquels ont fait un honnête travail journalistique et lesquels ne l’ont pas fait.

Le détective

Le mercredi, c’est jour de marché. Et tous les mercredi, il est là, debout, entre les charcutiers, les primeurs, les poissonniers et les fripiers, à distribuer ses tracts.

La première fois que je l’ai croisé, le voyant tendre son papier aux passants, par simple politesse, j’ai tendu la main. Mais dès qu’il m’a vu, il s’est ravisé, m’a ostensiblement tourné le dos et a offert son tract à quelqu’un d’autre. Ah ça ! Quel affront ! Et surtout, quel intrigant comportement…

Depuis, tous les mercredis midis, alors que je traverse le marché pour aller m’acheter un sandwich ou une salade, j’observe le personnage. Petit, maigre, roux, la quarantaine, bien habillé, souriant… Parfois, je passe discrètement près de lui en me tordant le cou pour essayer de lire ce qui est écrit sur son tract ; sans succès jusqu’à présent, c’est écrit trop petit. Mais ça m’a permis de voir que ce n’était pas vraiment un tract, plutôt une carte de visite imprimée en lettres argentées. Le genre de truc trop cher pour le distribuer aux quatre vents. Bizarre. D’autres fois, je m’adosse à un mur avec l’air de celui qui attend quelqu’un et je l’observe du coin de l’œil ; ainsi ai-je pu constater qu’il ne tractait pas au hasard, mais exclusivement à destination des femmes. Avec un succès plutôt mitigé d’ailleurs. La plupart se débarrassent du papier dans la première poubelle après y avoir jeté un œil. J’ai même entendu une femme lui rendre illico presto en ajoutant fermement : « c’est hors de question. »

Qui est-il ? Quels sont ses réseaux ? Que propose-t-il à ces femmes ? Tel Sherlock Holmes reconstruisant la moitié de la vie d’un quidam à partir d’une trace bizarre sur sa chaussure gauche ou d’un faux-pli sur sa chemise, mon esprit curieux ne peut s’empêcher d’échafauder mille hypothèses.

Évidemment, le fait qu’il soit un homme et qu’il cible les femmes oriente vers quelque chose de sexuel. Ça ne doit pas être trop explicite, bienséance oblige : des cours de massages, ou peut-être une initiation à quelque énigmatique « philosophie tantrique ». Ou bien il fait la promotion d’un discret club échangiste. Que ce soit pour un escort boy est en revanche peu probable : lui-même n’a pas le physique, et si c’est pour quelqu’un d’autre, ça flirterait dangereusement avec le proxénétisme. J’imagine assez bien un gourou, aussi. (Décidément, je vois des gourous partout en ce moment.) La Scientologie fait typiquement ce genre de chose, cibler certaines personnes sur les marchés ou à la sortie du métro pour les convier à une première séance gratuite. Je doute que ce soit eux, ce n’est pas dans leurs habitudes de viser exclusivement les femmes ; mais ce ne sont pas les sectes bizarres qui manquent. Et pourquoi pas un mélange des deux ? Un gourou qui recruterait des femmes pour se constituer son harem d’adoratrices…

Hier, mon enquête a enfin trouvé une résolution définitive. Une passante qui s’était vu refiler un tract l’a jeté au sol après l’avoir lu rapidement ; comme j’arrivais derrière, je l’ai ramassé et ai pu en prendre connaissance.

Un cabinet de voyance.

Tout bêtement. Pourquoi des femmes, alors ? Je suppose que le gars doit être persuadé qu’elles sont les plus réceptives à ce genre de charlatanerie. Du simple marketing. La vérité est toujours tellement plus banale et décevante dans la vraie vie que dans les romans de Conan Doyle.

Auditions préparatoires

Ces dernières semaines, la commission des lois a organisé des auditions préparatoires au débat sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ce fut l’occasion d’une grande indignation générale sur le fait que des religieux ont à cette occasion, Ô sacrilège, été invités à pénétrer dans le Temple-Sacré-De-Notre-République-Laïque : l’Assemblée Nationale. Une indignation fort mal venue à mon avis.

On ne peut pas faire deux poids, deux mesures. Les religieux sont des citoyens comme les autres. Bon, pas tout à fait, ils parlent avec un ami imaginaire barbu qui habite dans le ciel, ils pensent que les vierges accouchent, que l’eau se transforme en vin et le vin en sang. Mais hormis cette étrange disposition d’esprit, ce sont des citoyens français à part entière. Ils ont le droit, au même titre que n’importe quel autre citoyen, de donner leur avis sur les sujets de société. On ne peut pas être pour la liberté d’expression sauf pour les gens qui ne pensent pas comme nous. On ne peut pas être pour la démocratie mais à condition que telle ou telle catégorie de la population n’y participe pas. Les citoyens ne sont pas un peu égaux, ils le sont totalement ou pas du tout ; c’est justement un des slogans LGBT, commençons donc par l’appliquer nous-même.

Et que notre république soit laïque n’a rien à voir dans l’histoire. La laïcité parle de la liberté de croyance, de la non-subvention des cultes par les deniers publics, de l’égalité juridique de toutes les religions. L’esprit de la loi de 1905, ce n’est pas l’interdiction des religions dans l'espace public, mais leur respect.

Laissons donc radoter ces vieilles badernes à l’Assemblée Nationale : ce n’est pas parce qu’elle donnent leur avis qu’on les écoutera. D’ailleurs, quiconque a assisté à ces auditions a pu constater comment les députés ont sèchement renvoyé dans les cordes ces sectaires d’un autre âge ; quelques UMP s’étaient même indignés de ce soi-disant manque de respect dans une tribune du Figaro. Aucun des propos de ces religieux ne menacera donc ni la laïcité, ni la république, ni le projet de loi qui nous occupe.

Non, à mon sens, le vrai problème de ces auditions à l’Assemblée ne réside pas dans la parole accordée à l’un ou à l’autre, mais bien dans l’existence même d’une telle enquête. Ces auditions nous placent en position d’objets d’étude : pour la Science, avec l’intervention des psychiatres et des sociologues, pour la Morale, avec l’intervention des religieux et des philosophes. Ces auditions nous placent dans la position des Indiens d’Amérique lorsque des religieux à Valladolid cherchaient à savoir s’ils avaient une âme humaine, dans la position des Noirs quand on se demandait s’il était légitime de les réduire en esclavage, dans la position des femmes quand on se demandait s’il n’était pas dangereux pour la démocratie de leur accorder le droit de vote.

Dans tous ces débats, passés et actuels, la majorité s’arroge le droit de juger une minorité en la soumettant à des critères d’évaluation qu’elle n’aurait même pas l’idée de s’appliquer à elle-même, tant elle est persuadée de sa normalité, de sa supériorité, de la légitimité de son pouvoir. Elle s’interroge sur la valeur du mariage de deux hommes, mais pas sur celui des huit mariages de Liz Taylor ou du mariage éclair de Britney Spears qui n’a tenu que deux jours. Elle reste circonspecte sur l’idée d’une filiation homosexuelle qui ne serait pas biologique, sans voir la masse écrasante des cas hétérosexuels où elle ne l’est déjà plus depuis longtemps (familles recomposées, accouchements sous X, enfants adoptés ou illégitimes…). Elle s’inquiète a priori des conséquences psychologiques sur les enfants d’avoir des parents homos, au point de vouloir l’interdire sur le plan législatif ; tandis qu’elle ne s’inquiète qu’a posteriori, sur le plan judiciaire – donc généralement trop tard – des parents hétéros alcooliques, violents, maltraitants. Et le jour où un unique fait divers sordide impliquera un couple homo, la majorité en fera un cas emblématique en hurlant « on vous l’avait bien dit ! », tout en ignorant superbement que dans ses rangs, tous les jours, des couples hétéros agissent de bien pire façon.

Pour injurieuse que soit l’existence même de ces auditions, elles sont cependant nécessaires. Déjà que nos opposants se plaignent d’une absence de débat alors qu’il a lieu tous les jours, dans tous les médias, depuis neuf mois, je n’ose pas imaginer ce qu’ils diraient si la loi était passée du jour au lendemain sans concertation ! De plus, toutes ces discussions agissent sur les mentalités. Elles mettent en lumière l’arbitraire ou l’infondé de certaines idées préconçues, contribuant ainsi à les changer ; elles ringardisent l’homophobie, lui attachent une connotation négative, péjorative et ce faisant, enferment nos opposants dans des contradictions insolubles. Ainsi le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui ayant très bien compris qu’être homophobe était désormais mal vu, déclarait hier qu’il était opposé à l’homosexualité mais qu’il refusait d’être taxé d’homophobie. Le propos est si évidemment ridicule qu’on n’a même pas besoin de le démonter, son promoteur se décrédibilise tout seul aux yeux de tous.

Dans cinquante ans, on regardera les auteurs de cette actuelle controverse comme on regarde les auteurs de la controverse de Valladolid : comme des arriérés, des barbares, des ignorants. Avoir cette certitude absolue que nous sommes du bon côté de l’Histoire, c’est probablement ce qui me donne le plus de force en ce moment.

Aigreurs

Je relis parfois de vieux billets de l’un ou l’autre de mes anciens blogs (et autres sites persos : j’écris des conneries sur internet depuis 1997) et je n’aime pas le ton que prennent ces pages ces derniers temps. L’humour et le délire des vieux billets ont disparu pour céder la place, neuf fois sur dix, à des aigreurs liées à l’ambiance politique de merde qu’on se tape depuis quelques années.

C’est peut-être moi qui vieillis. Ou c’est peut-être un contre-coup du sarkozisme et de sa droite forte : à longueur de journée, un tel déversement d’idioties, de contre-vérités, de stigmatisation des minorités, et j’en passe, qu’à moins de se couper totalement des médias, on passe le plus clair de son temps à pester et à s’énerver. À argumenter aussi, ne serait-ce qu’en son for intérieur, juste pour se convaincre que oui, c’est bien eux qui disent n’importe quoi et pas nous. Oui, nos valeurs humanistes et de partage conduisent à une société plus agréable à vivre pour la majorité que leurs discours normatifs porteurs d’exclusions, de discriminations, de ségrégations. La quantité d’énergie investie dans ces ruminations intérieures m’épuise, me rend aigri, cynique. Je n’aime pas ça.

Sarkozy et toute sa clique ne sont plus là, mais il en reste des traces. Ils ont légitimé un certain discours décomplexé (c’est-à-dire essentiellement idiot) que l’on retrouve partout, chez les éditorialistes, au boulot autour de la machine à café, dans la foule des blogs, et même chez soi sous la forme de l’invité surprise du réveillon. Hollande n’est peut-être pas un grand président, mais il a au moins le mérite de ne pas nous infliger une déclaration débile par jour en réaction à n’importe quel fait divers. En tout cas pour l’instant. J’espère qu’il ne cèdera jamais à cette facilité médiatique.

Le sel d’un blog, c’est aussi son côté personnel. Sur ce point aussi, je suis en retrait depuis longtemps. Cela fait une éternité que je n’ai pas raconté de choses trop privées ou trop intimes. Une envie de me protéger, sans doute, de ne pas trop en révéler sur moi à des personnes hostiles qui passeraient par ici. Et dieu sait qu’en ce moment, j’en vois un peu partout, de l’hostilité. L’ouverture du mariage aux couples de même sexe a fait sortir du bois toute une frange de réacs, qui pour une fois vont arrêter de se taper sur la gueule puisqu’ils se sont trouvés un adversaire commun : les homos. Songeons quand même que l’Union des Organisations Islamiques de France, l’UMP et le Front National vont manifester dans le même défilé dimanche prochain… Les trois ennemis ancestraux enfin réunis ! Dans la haine. Quelle honte.

Que tout cela passe. Que je retrouve un semblant d’humour dans ces pages. S’il n’est pas trop tard.

Voyage, voyage

J’aime bien les voyages en train. Prendre le train, ce n’est pas seulement aller d’un point A à un point B. C’est aussi retrouver chaque fois un peu de la magie de l’âge d’or des chemins de fer. Peu importe que vous alliez à Laroche-Migennes ou à Limoges-La Souterraine, dans votre tête, c’est comme si vous preniez le Transsibérien, l’Orient-Express ou le Train Jaune, vous pensez aux noms prestigieux du passé, Compagnie des Wagons Lits ou Darjeeling Himalayan Railway, vous plongez dans l’ambiance des vieux romans anglais, Hercules Poirot et Sherlock Holmes sont assis en face de vous.

Prendre le train, c’est aussi se retrouver pour quelques heures enfermé entre quatre tôles en compagnie de ses congénères. Claude Lévi-Strauss disait des traversées transatlantiques que la fréquentation obligée des autres voyageurs était le châtiment pour expier l’outrage fait à la nature de voyager sans avoir à remuer ses membres. Et quoiqu’un Paris Clermond-Ferrand soit plus rapide et moins monotone qu’un Cherbourg New-York, sa remarque s’applique tout à fait au train.

Une fois, je me suis retrouvé assis à côté d’un autrichien – son accent l’avait trahi lorsqu’il s’était excusé de devoir me faire me lever pour rejoindre sa place. Il resta silencieux pendant une bonne partie du voyage ; puis, alors que le panache de vapeur de Nogent-sur-Seine se profilait à l’horizon, il me demanda soudain :

— Excusez-moi, c’est une centrale nucléaire, qu’on voit là-bas ?
— Oui, c’est bien ça.
— Oh, c’est la première fois que j’en vois une ! Vous savez, chez nous, il y en a très peu, alors on n’a pas souvent l’occasion d’en croiser…

La discussion s’engagea alors pour de bon. J’appris ainsi qu’il était réalisateur, qu’il vivait à Rome et qu’il se rendait en Auvergne pour faire des repérages pour un tournage. Devant mon insistance à savoir le genre de film qu’il faisait, il m’avoua en de longues périphrases qu’il s’agissait de films plutôt spécialisés et destinés à un public adulte… Voyant que je n’étais pas horrifié par cette révélation, il me confia qu’il avait lui-même été, dans sa jeunesse, acteur porno. Ces bases étant posées, la discussion dériva sur des sujets aussi variés que l’histoire de l’art, les langues étrangères, la théologie (il avait fait le séminaire dans sa jeunesse et le passage en gare de Nevers lui remit en mémoire la vie de Bernadette Soubirous), l’homosexualité des politiciens autrichiens d’extrême-droite, ou la beauté des musées florentins. Peut-être n’était-il qu’un gros mythomane ; peu importe, la discussion fut fort réjouissante et meubla très agréablement mon voyage.

Hier, mon voisin de siège était un quinquagénaire qui passa tout le trajet à discuter de voyage astral au téléphone. Le nombre de gens qui l’appelaient, son ton très paternaliste, son vocabulaire pseudo-spirituel, le style des conseils qu’il donnait, tout cela m’amena rapidement à penser qu’il dirigeait une association de développement personnel tendance New Age. Ou une secte. Un authentique gourou ! Il avait un épais bouquin sur les genoux qui j’en étais sûr, allait me donner des indices décisifs sur le personnage ; mais malgré mes efforts, je n’ai pas réussi à en lire le titre, écrit sur la couverture opposée au côté où je me trouvais, ni un seul paragraphe, imprimé en caractères trop petits.

Le sommet du n’importe quoi fut atteint lorsque, s’adressant à sa femme assise un siège plus loin, il expliqua que tous ces coups de téléphone le fatiguaient énormément. À cause des ondes, vous comprenez. Les ondes du portable, qu’il sentait pénétrer dans sa tête et lui paralyser toute la moitié du corps ; et il accompagnait ces phrases de grands gestes pour « dégourdir » sa jambe et son bras droits endoloris. Je me gardai bien de lui révéler l’existence du croisement des voies nerveuses dans le tronc cérébral, qui fait que dans l’hypothèse hasardeuse où les ondes lui auraient effectivement grillé les neurones de l’hémisphère droit, côté où il tenait son téléphone, il aurait plutôt dû se retrouver paralysé du côté gauche. Psychologiquement, il ne se serait jamais remis d’un tel ébranlement de ses certitudes…

Fin du Monde

En ce jour du solstice d’hiver, je vais me laisser aller à une douce paresse intellectuelle et suivre mollement la mode eschatologique, puisque je vais parler de fin du monde. C’est une remarque lue ça et là qui m’y pousse et qui dit en substance : de toute façon, la fin du monde à une date aussi précise que le 21 décembre 2012, ce n’est pas possible, la Terre ne peut pas disparaitre comme ça du jour au lendemain.

Repentez-vous et faites pénitence, car en vérité je vous le dis : si, c’est possible. En tout cas, je connais au moins un moyen (il y en a peut-être d’autres), dont l’efficacité est aussi redoutable que la probabilité de survenue n’est pas nulle. Je veux parler d’une collision avec un astéroïde.

Notre système solaire est plein de cailloux, résidus de la lointaine époque de sa formation. Les plus petits ont une taille de l’ordre du millimètre (voire moins) et sont extrêmement nombreux. Ce sont eux qui, en entrant dans notre atmosphère lorsque la Terre croise leur route, provoquent les étoiles filantes. Les plus gros font quelques dizaines ou centaines de kilomètres et sont bien sûr beaucoup plus rares ; les lois de la gravitation étant ce qu’elles sont, de tels monstres ont aussi beaucoup moins de chances de croiser notre route. En gros, d’après les observations historiques et géologiques, on a :

De telles collisions sont-elles possibles du jour au lendemain, sans aucun signe avant-coureur ? Il y a 20 ans, j’aurais sans aucun doute répondu par l’affirmative : on ne savait à peu près rien des astéroïdes géocroiseurs. Depuis, les astronomes se sont intéressés à la question et des projets de recherche visant à les recenser tous, notamment par radar, ont été développés. On estime connaître aujourd’hui environ 90 % des objets pouvant présenter une menace, comme par exemple l’astéroïde Apophis qui a fait parler de lui il y a quelques années. Les risques sont donc mieux maitrisés, mais il reste encore 10 % d’inconnus.

D’autant plus que prévoir la trajectoire de tels objets plusieurs décennies à l’avance est très complexe. Le nombre d’interactions gravitationnelles à prendre en compte est considérable, on ne les connait d’ailleurs même pas toutes. Des impondérables peuvent aussi survenir : collisions, apparition d’une comète encore inconnue qui par son influence gravitationnelle va perturber les trajectoires des astéroïdes, éruptions solaires dont le flot de particules va freiner ou accélérer les objets les plus légers, etc. Enfin, le calcul est fait par intégration numérique, un mode qui est très sensible aux petites imprécisions initiales parce qu’elles ont tendance à s’accumuler dans le temps. Ainsi, une erreur infime sur la vitesse mesurée aujourd’hui d’un astéroïde pourra par exemple signifier une erreur de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres sur sa position prévisionnelle dans 50 ans ; or, des dizaines de milliers de kilomètres, c’est suffisant pour viser ou rater la Terre…

Que faire si l’on détecte un tel danger ? Si c’est quelques jours à l’avance, comme dans certains films catastrophes bien connus, il n’y a rien à faire. Oubliez Bruce Willis et son équipe de forage. On ne sait pas envoyer de fusée (encore moins de navette spatiale puisqu’il n’y en a plus en service…) à la rencontre directe d’un astéroïde, on ne sait le faire qu’en suivant une orbite autour du Soleil, soit un détour de plusieurs mois au minimum. De plus, une explosion nucléaire serait probablement insuffisante pour détruire l’objet et éloigner la menace. Une telle découverte impromptue a déjà eu lieu ; il ne s’agissait pour cette fois que d’un objet de quelques mètres de diamètre.

En revanche, si la menace est détectée plusieurs années à l’avance, des solutions sont possibles. Toutes sont basées sur la même idée : modifier imperceptiblement la trajectoire de l’objet de telle sorte que des années plus tard, cet écart initial s’accumulant, il devienne suffisant pour que l’objet rate la Terre. On peut par exemple envoyer une fusée très rapide s’écraser sur l’astéroïde. On peut aller faire exploser une bombe à sa surface, en espérant que la vaporisation de la roche produira un effet de propulsion par réaction. On peut envoyer un vaisseau extrêmement lourd frôler l’astéroïde, afin de le dévier par interaction gravitationnelle. On peut aussi aller poser un moteur de fusée à la surface de l’objet. On peut avoir encore tout un tas d’idées plus ou moins amusantes.

Mais bon, si une telle menace était détectée, je crois que le premier et le principal problème que nous aurions à résoudre serait de nature politique : qui fait quoi, comment, et avec quel budget…

Winter Pride

Je ne comprends pas pourquoi le PS appelait à manifester. Dites, les députés et les ministres de la majorité, c’est votre projet de loi, c’est à vous de mouiller la chemise pour le défendre. C’est à vous de vous montrer dans les médias, de répondre aux détracteurs de tous poils, de démystifier, d’argumenter. C’est à vous de montrer que vous y croyez. C’est à vous de montrer que votre projet de société a du sens. C’est à vous de pointer l’incohérence de l’UMP qui appelle au débat tout en n’envoyant personne participer à celui organisé en ce moment même par la Commission des Lois à l’Assemblée Nationale. C’est à vous de nous aider à nous défendre contre le flot d’injures qu’on se prend dans la gueule depuis des mois.

À la place de quoi, on a quelques timides interventions d’une ministre par-ci, d’une secrétaire d’état par-là… Principalement des femmes, d’ailleurs. Si ça continue, je vais finir par croire que les mecs du PS considèrent que défendre les homos est risqué en terme d’image. Ca ne m’étonnerait tellement pas. Sans parler de notre bon Président qui gaffe sur la liberté de conscience des maires tout en disant qu’il est favorable à la PMA, mais en fait non, et d’ailleurs ça n’apparait pas dans le projet de loi du gouvernement parce qu’il est pour, mais il préfère que ce soit le parlement qui dépose un amendement. Allô ? Quelqu’un comprend ? Sérieusement ? Quand Mitterrand disait qu’il croyait aux forces de l’esprit, il ne parlait probablement pas de l’esprit de Hollande…

Bref, nous avons manifesté dimanche dernier pour nos droits, puisqu’il faut en passer par là pour donner des couilles une légitimité au PS. Une manifestation bon enfant, sans débordement, sans violence. Dans la masse, certes, quelques slogans agressifs vis-à-vis des Boutin, Barjot, Vingt-Trois et autres, mais en même temps, ils le cherchent bien : quand on se présente en égérie des promoteurs d’une discrimination, il faut s’attendre à des réactions musclées de la part des gens qu’on discrimine. Contrairement à ce dont on nous accuse, aucun slogan « hétérophobe » ou « cathophobe ». Si tant est que ces mots aient un sens. Le racisme, l’homophobie, l’antisémitisme, ce sont beaucoup moins des comportements individuels qu’une structuration de la société qui vise à discriminer une catégorie de personnes ; or, notre société n’est [b]pas[/b] structurée pour discriminer ni les hétéros ni les cathos. (Ni les Blancs, n’est-ce pas, mon petit Jean-François Pain-Au-Chocolat Copé ?) Il faut dire que les risques de dérapage sont limités par le fait que nos revendications se tiennent du bon côté de la morale et de l’Histoire. Nous, il n’y a pas besoin de donner des consignes aux manifestants pour éviter les slogans haineux…

Le copain n’avait jamais manifesté de sa vie. Ah, ces provinciaux ! Je lui ai donc tout bien expliqué, qu’il fallait découper des trous dans les A, les D, les P, les Q ou les R des banderoles pour que le vent puisse passer à travers, qu’il fallait marcher sur la chaussée plutôt que sur les trottoirs sinon on n’est pas comptabilisé par les flics des RG…

On ne s’est pas trop attardé après l’arrivée à Luxembourg. Je n’étais pas très en forme, et accessoirement assez énervé de n’avoir réussi à retrouver personne de mes connaissances sur le trajet, du fait de l’acharnement du réseau GSM à refuser d’acheminer mes SMS. (Allez, tous ensembles, on fait les cornes à Orange, Bouygues, SFR et Free : hou les corneuh, hou les corneuh !).

Rendez-vous le 27 janvier. Et cette fois-ci, avec les copains et les copines, on sera prévoyant, on se retrouvera avant la manifestation…

Le management moderne

— Je vais commencer par vous projeter quelques images du Vendée Globe et puis après, on discutera de ce qu’on a vu.

C’est la nouvelle lubie des managers modernes. Le Team Meeting. Une fois par mois, une journée entière au boulot, mais on ne bosse pas, on est juste là pour renforcer l’esprit d’équipe. Le matin, on réfléchit sur nos méthodes de travail, ce qu’on doit améliorer, ce qu’on doit jeter ; l’après midi, on organise un tournoi de bowling, ou bien un laser game ou bien une course de karts.

Un tournoi de bowling entre collègues. Vous imaginez ma joie. Bref. Une vidéo du Vendée Globe. Je me penche vers mon voisin : « Tous aux abris, gros bullshit en approche ! » Il acquiesce tandis que la vidéo démarre. Pendant dix minutes, un gros catamaran qui affronte des vagues, avec des mecs en ciré jaune qui courent partout sur le pont pour tourner des manivelles. Puis on discute. Alors, qu’est-ce que ça nous évoque ?

Travail d’équipe. Dépassement de soi. Contrôle du risque. Adaptation au changement. Record. Performance. Entraide. Qualité. Le cap. Très important, le cap. Il nous faut un cap. Sans cap, on n’arrive nulle part.

La ficelle est tellement énorme, ce n’est pas une ficelle, c’est un cordage de marine. Une aussière. Le truc assez gros pour amarrer un porte-avion. Le manager reprend la parole.

— Eh bien vous savez quoi ? Moi, je pense que tout ce qu’on vient de dire à propos de ce voilier, ça s’applique également à notre entreprise.

NON, SANS BLAGUE ! Je l’avais pas vue venir, celle-là ! Je ne m’attendais tellement pas à cette conclusion ! J’en reste sans voix ! Heureusement d’ailleurs, parce que s’il m’était resté de la voix à cet instant, j’aurais sans doute demandé si ça voulait dire que désormais, on devait venir travailler en ciré jaune…

Je me demande ce qui me désespère le plus, qu’un manager réussisse à nous sortir autant de bullshit à la minute, ou que la moitié de la salle gobe sans réagir. En tout cas, je ne serai pas complice de ça : il y a quinze jours, j’ai démissionné de mon poste de manager.

Polonium 210

Le polonium 210 est un élément lourd radioactif, naturellement présent à l’état de traces sur notre planète. Il provient de la désintégration du radon 222, qui lui même provient, après une série de désintégrations successives, de l’uranium 238. On le trouve notamment dans la fumée de cigarette : le tabac est une plante qui fixe bien les éléments lourds, or il se trouve que les engrais utilisés pour fertiliser les sols contiennent des phosphates qui sont extraits de mines où se trouvent des traces d’uranium.

Le polonium 210 a une demi-vie assez courte, environ 138 jours. Il se désintègre spontanément en émettant un rayonnement α pour donner du plomb 206. Ce dernier est un élément stable et répandu dans la nature, puisque 25 % environ du plomb existant dans l’univers est du plomb 206.

Le polonium 210 est très toxique. La dose létale est de l’ordre de quelques dizaines de nanogrammes. Disons pour arrondir, un dix millionième de gramme. C’est mille fois plus toxique que le venin du poisson fugu qui fait tant frissonner les Japonais et à peu près du même ordre de grandeur que la toxine botulique.

On va donc prélever des fluides sur le cadavre de Yasser Arafat pour savoir si, comme Alexandre Litvinenko en son temps, il a été empoisonné au polonium 210 par de quelconques services secrets. La mort remonte à 2939 jours, soit une durée équivalente à 21,24 demi-vies de ce radioélément. S’il y a eu un jour du polonium dans le corps du leader palestinien, il en reste donc aujourd’hui 2475000 fois moins. De plus, le polonium a dû se répartir dans le foie, la rate, les reins, peut-être aussi dans les os ; mais j’imagine qu’on ne va prélever que quelques centimètres cubes de fluide par-ci par-là, donc une petite partie seulement de ce polonium restant.

Tout ça mis bout à bout, et compte tenu du fait que si empoisonnement il y a eu, la dose initiale devait être de l’ordre du dix millionième de gramme, les labos qui vont procéder à l’analyse auront au mieux 0,01 picogrammes de polonium 210 à se mettre sous la dent. Soit un centième de millionième de millionième de gramme.

J’espère qu’ils ont des instruments sensibles.

Petit Manuel de Gayrilla (la compil')

On m’a demandé l’intégrale des textes que j’ai pu écrire sur l’homosexualité (oui, rien que ça !). Un petit tour dans mes archives m’a révélé un tas de textes disparates, parfois redondants, souvent datés… Je ne pouvais pas les envoyer en l’état.

J’ai donc procédé à un tri. J’ai supprimé les textes portant sur les sujets qui ne font plus débat aujourd’hui – ce dont on peut se féliciter, cela veut dire que les causes LGBT avancent. J’ai ajouté en introduction un texte déjà paru ici sur les minorités face à la République, que j’ai augmenté de quelques paragraphes pour l’occasion ; ainsi que quelques chapitres inédits sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Un soupçon de mise en page propre, des illustrations, et voilà : le Petit Manuel de Gayrilla au format PDF.

L’ensemble me parait assez maladroit et je comptais le diffuser au compte-goutte. Mais le copain m’a convaincu qu’il n’en était rien. Et puis en cette funeste journée où cent mille personnes ont défilé dans les rues contre nos droits, un peu de littérature homophile vous fera le plus grand bien. Alors voilà, c’est en ligne. Bonne lecture !

Abus de propriété intellectuelle

Je cherche une reproduction libre de droits d’une gravure ancienne précise (une carte du ciel dessinée par Albrecht Dürer pour être exact). Et je n’en trouve pas. Tous les gens qui ont eu accès à ce document et qui ont pu le photographier ne le proposent qu’en mode « droits réservés ».

La logique dans la tête de ces gens me dépasse. Celui dont les photos représentent un travail ou une recherche personnelle, celui dont les photos sont remarquables (ou simplement uniques) de par la technique, le cadrage, la composition, le sujet, le traitement, etc., il est tout à fait normal qu’il prétende à un droit à la propriété intellectuelle.

Mais celui qui n’a rien fait d’autre que d’ouvrir un bouquin de gravures et en photographier une page, sa photo n’a aucun autre intérêt que la gravure qu’elle reproduit, autrement dit, cent pour cent du boulot qui rend sa photo intéressante n’a pas été fait par lui, mais par un autre.

Alors qu’il ait le culot d’exiger davantage qu’une simple citation de son nom en cas de reproduction, franchement, j’ai un peu envie de lui faire bouffer le Code de la Propriété Intellectuelle par le fondement.

Mise à jour : on me signale un billet autrement plus argumenté sur le même sujet.

Cotisations sociales

La compétitivité, ou comment inventer un problème qui n’existe pas et inviter dans tous les médias des gens qui n’y connaissent rien pour en parler. (Bon d’accord j’exagère un peu, mais la façon dont le sujet est traité m’énerve tellement, avec ces journalistes capables de présenter un reportage qui montre que la France est le quatrième pays du monde attirant le plus les investisseurs étrangers, et une minute plus tard servir la soupe à un UMPiste qui va hurler au manque de compétitivité, que je n’ai pas envie de faire dans la dentelle.)

Déjà, il y a cette façon dont le patronat essaie de faire croire que les cotisations sociales seraient en fait des charges sociales. Il y a là une grosse arnaque sémantique. Les textes de loi parlent bien de cotisations, un mot qui évoque l’idée de pot commun, de solidarité, d’entraide ; et non de charges, un mot qui évoquerait plutôt une peine, un frein, une entrave.

Mais il y a surtout un grand mépris du salarié. Ami patron, quand tu emploies un salarié, tu n’achètes pas son travail. Tu achètes une part importante de sa vie. Bien sûr, il y a quelques planqués ; mais il ne faudrait pas que ça cache que la plupart des salariés travaillent dur, se lèvent tôt, rentrent tard, et dans un état de fatigue tel que beaucoup n’ont guère envie de faire autre chose de leurs soirées que s’abrutir devant la télé. (Je pense qu'il ne faut pas chercher ailleurs le succès de TF1…)

Oui, ami patron, quand tu paies un salarié, tu n’achètes pas un service ou un produit fini, tu achètes un être humain. Un être humain entier, pas seulement trente-cinq ou trente-neuf heures par semaine, mais aussi toutes les soirées où il est trop défoncé par sa journée de boulot pour que ce temps lui appartienne vraiment, toutes les nuits d’insomnies à cause du stress provoqué par ton management de merde, et je passe sur les maladies professionnelles.

Et figure-toi que l’être humain que tu achètes, ami patron, il n’est pas parfait. Il y a des jours où il tombe malade, il y a des jours où il a des priorités familiales, il y a un âge où il doit s’arrêter de travailler. Et pourtant, tous ces jours-là de non-productivité, il doit quand même manger et payer son loyer. Quand tu paies un salarié, ami patron, tu paies aussi les assurances qui couvriront tous ces jours-là où il sera absent, où il ne produira rien, où il ne te rapportera rien. Ca en fait partie, tu ne peux pas dissocier la vie de ton salarié du travail qu’il produit, tu ne peux pas choisir de payer pour une chose mais pas pour l’autre. C'est un package. « Ne peut être vendu séparément » comme on dit.

Alors, ami patron, maintenant, tu vas arrêter de nous les briser menues avec ton choc de compétitivité, tu vas respecter les êtres humains qui produisent la valeur ajoutée avec laquelle tu rémunères tes actionnaires et tu vas payer tes cotisations sociales sans faire d’histoire. Parce qu’un jour, à trop traiter les gens comme de la merde, il va t’arriver des bricoles et crois-moi, tu l’auras pas volé.

Motobricolage

Le gros problème de la moto, c’est le manque de rangement. Impossible d’emporter quoi que ce soit qui ne rentre pas dans un sac à dos et une fois arrivé, obligation de se trimballer le casque et le blouson de moto. Au concert ou au théâtre, ça passe, il y a un vestiaire. Mais au cinéma ou au musée par exemple, c’est un peu encombrant. J’ai donc cassé ma tirelire et offert des grosses valises latérales à Kawette.

Le vendeur m’avait prévenu : le montage n’est pas très compliqué, mais il faut y aller lentement et ne pas s’énerver. Effectivement, je confirme en tous points. Ce n’est pas compliqué mais ça prend l’après-midi et on a plus d’une fois envie de tout défoncer à grands coups de clef à molette pour se défouler. Heureusement, je suis un maitre du zen, je ne m’énerve jamais et suis toujours d’une humeur égale.

En fait, le montage mécanique ne présente pas de difficulté, hormis que toutes les vis ne tombent pas pile en face et qu’il faut forcer un peu pour tout aligner. Non, le vrai problème, c’est le circuit électrique. Car ces valises imposent de déporter les clignotants quinze centimètres plus bas, or contrairement à ce qui est indiqué dans le manuel, les fils électriques qui relient les sus-dits clignotants n’ont pas les quinze centimètres de rab nécessaires. De plus, les sortir et les faire repasser par le nouveau trou impose de démonter la moitié de la partie arrière de la bécane. Heureusement, mon concessionnaire (qu’un tapis de pétales de roses parfumées se dépose sur son chemin) nous a bien aidé, notamment en m’offrant gracieusement de quoi rallonger les fils trop courts.

Premier essai le week-end dernier, en allant rejoindre le copain au château de Sully-sur-Loire. Le grand luxe ! Il y a tellement de place qu’en plus des fringues et de l’appareil photo, j’ai même pu emmener ma thermos de thé à la bergamotte. (Avantage du thé : ça réchauffe après deux heures de vent glacial à 130 km/h dans la tronche. Inconvénient : ça fait pisser tous les cinquante kilomètres, ce qui n’est pas hyper pratique avec l’équipement de moto qui complique l’accès à la braguette.)

Par contre, les dix kilos de plus en hauteur de chaque côté modifient sensiblement l’équilibre de la moto à basse vitesse. Et puis la largeur n’est pas compatible avec les embouteillages parisiens. Sans parler de l'esthétique douteuse. Du coup, je pense que ces valises ne quitteront le garage que pour les soirées parisiennes et les week-end en province.

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