Trollons la GPA
Au départ, je n'étais ni favorable ni hostile à la GPA. C'est exactement le genre de sujet pour lequel je trouve qu'il n'y a que des mauvaises solutions. Comme souvent dans ces cas-là, mon vieux fond anar refait surface et me souffle : que chacun fasse comme il veut en accord avec sa propre conscience, vu que ça ne perturbera pas l'équilibre du monde, vu qu'il s'agit d'une pratique qui restera toujours ultra-confidentielle, vu que je me suis laissé dire que l'écrasante majorité des couples avaient un moyen plus simple et relativement agréable de faire des bébés.
Hélas, la MPT a mis le sujet sur le tapis et comme chez nous, c'est l'extrême-droite qui fixe les termes du débat et l'agenda médiatique, il se trouve depuis deux ans tout un tas de personnalités pour tomber dans le piège de croire qu'on les somme de dire qu'ils sont contre. D'illustres intellectuel-le-s signent donc des tribunes et des pétitions, des éditorialistes prennent position, des politiciens de tous bords lâchent des petites phrases, des papes font la morale au parlement européen ; des élus déposent même des propositions de loi visant à interdire la GPA – ce qui est fascinant en terme de gaspillage d'énergie parlementaire puisqu'elle est déjà interdite.
N'ayant pas trop d'avis et souhaitant m'en forger un, je me suis donc intéressé au discours des opposants. Et ça m'a semblé plutôt pauvre. (En même temps, si la qualité des débats politiques atteignait des sommets, ça se saurait.) Au point que plus je lisais leurs arguments contre, plus j'avais envie d'être pour.
- La sacralité de la vie et/ou du corps de la femme. D'abord c'est hors-sujet, puisqu'il n'est pas question ici d'attenter à la vie (ou à sa potentialité) comme ce serait le cas si on parlait d'euthanasie, d'avortement ou de contraception ; mais qu'il est au contraire question de la créer. D'autre part, les arguments de nature religieuse ou transcendantale, j'ai un peu tendance, comme bon nombre de mes compatriotes, à m'asseoir dessus, étant totalement athée, voire hautement réfractaire.
- Le principe d'indisponibilité du corps humain. Version juridique du point précédent, il ne me convainc pas davantage. Ce principe est loin d'être universel (il n'existe pas aux États-Unis par exemple), il n'est pas écrit dans la loi ou dans la constitution mais est avant tout jurisprudentiel et pour s'accorder à l'évolution des mœurs et des techniques médicales, le législateur lui a déjà fait beaucoup d'entorses : pour le don de sang, pour le don d'organes, pour l'IVG, pour certaines chirurgies comme celles de réassignation sexuelle, etc. De plus, la population française est très majoritairement favorable à l'euthanasie, preuve que le principe d'indisponibilité de son propre corps ne freine pas grand-monde.
- Le principe de non-location du corps humain. Je ne sais pas d'où sort cette idée que l'on n'aurait pas le droit de gagner de l'argent en mettant son corps à disposition d'autrui, mais il faudra en parler à l'ensemble des travailleurs manuels de ce pays, ça les intéressera beaucoup. Surtout nos militaires qui sautent sur des mines en Afghanistan et nos 56000 ouvriers victimes de maladies professionnelles chaque année. En fait, l'exploitation de l'Homme par l'Homme, et notamment de son corps, c'est un peu la base du capitalisme et jusqu'à l'arrivée de la GPA, ça ne semblait choquer personne, à l'exception peut-être des syndicats. Mais si pour interdire la GPA vous voulez pour rester cohérent interdire aussi le travail, ça me va, je signe.
- Le risque de trafic d'êtres humains, d'exploitation de la misère, etc. Sur ce coup-là, je suis tout à fait d'accord. Le consentement libre et éclairé de la femme me semble essentiel dans cette histoire, or personne n'est ni libre ni éclairé lorsqu'il est pressé par des problèmes d'argent. Mais je ne suis pas d'accord sur le moyen. Car justement, il me semble qu'interdire une pratique pour laquelle existe une demande impérieuse est le meilleur moyen d'en encourager le trafic. L'histoire regorge d'exemples : la Prohibition dans les années 20 qui a permis à la mafia de s'implanter aux États-Unis, l'interdiction de l'IVG qui a créé les faiseuses d'anges, la répression autour des stupéfiants qui a conduit à l'explosion de l'économie parallèle dans certains quartiers, etc.
- Ne pas autoriser tout et n'importe quoi pour satisfaire le désir égoïste de quelques couples. J'ai du mal à voir en quoi le désir d'enfant chez un couple stérile serait plus égoïste et moins digne d'être satisfait que le désir d'enfant chez un couple fertile, d'autant plus qu'on le fait déjà avec la PMA. En fait, j'ai du mal à voir en quoi le désir tout court serait condamnable ; naïvement, je croyais qu'il valait mieux avoir des enfants désirés que par accident. Certains évoquent la Nature (avec une grande majuscule) pour expliquer qu'on doit se soumettre à ses aléas, dont l'infertilité fait partie ; mais si on va par-là, on peut remettre en cause à peu près l'ensemble de notre culture et notamment la médecine, qui est toute entière tournée vers l'idée de contrebalancer les injustices douloureuses de cette fameuse Nature.
- Seul argument qui ébranle timidement ma conviction (mais je ne l'ai entendu que dans la bouche de rares médecins), il existerait des liens biologiques entre la mère et l'enfant, et briser ce lien à la naissance aurait des conséquences négatives sur son développement. Je le crois volontiers, mais briser ce lien, on le fait déjà dans certaines circonstances, accidentelles ou volontaires : décès de la mère à la naissance, accouchement sous X, placement en famille d'accueil d'un nouveau-né dont la mère est jugée défaillante, etc. Ce sont des circonstances exceptionnelles, rares ; mais c'est justement ce dont on parle avec la GPA : d'une pratique exceptionnelle et rare. De plus, les circonstances accidentelles que j'évoque sont traumatisantes, alors que l'adoption plénière par un couple n'est pas censée l'être.
Le reste n'est qu'imprécations catastrophistes à base de rupture anthropologique, de retour des Lebensborn et de fin de la civilisation – comme à peu près chaque fois qu'émerge une nouveauté depuis l'origine de l'humanité. Le réac est conservateur jusque dans son argumentation.
Si je voulais troller, je proposerais bien une solution : autoriser la GPA, mais interdire catégoriquement qu'elle soit rémunérée. Ça résout tous les problèmes à la fois ! On répond à la demande des couples stériles, c'est raccord avec la pratique actuelle (à l'œuvre dans les greffes par exemple) de non commercialisation du corps humain, pas de pression économique sur les femmes puisque la seule motivation serait l'altruisme, pas de risque de trafic ou de filière illégale puisque ça ne pourrait pas rapporter d'argent.
Allez, on fait comme ça et on n'en parle plus.