Je suis développeur
Je suis développeur.
Je corrige des bugs dans des applications écrites par d'autres. Je me bats avec les mises à jour de systèmes ou de compilateurs qui entraînent des choses qui ne marchent plus, des standards qui évoluent, des protocoles qui changent. J'éteins des incendies dans du code explosif que la direction a cru bon de sous-traiter en Inde. J'aide, je donne mon avis à droite à gauche – privilège de la séniorité, on me prend pour l'expert capable de résoudre en deux minutes n'importe quel problème. J'épluche les mille six cent cinquante avertissements chiés par le énième analyseur de qualité de code imposé par la direction, pour voir s'il n'y en aurait pas un qui serait pertinent (spoiler : non), ça ne sert absolument à rien mais ça fait bander un qualiticien dans un bureau au 4ème étage. Pour la millième fois, on me demande de chiffrer une fonctionnalité, pour la millième fois je réponds que je ne peux chiffrer que des tâches techniques et qu'il n'y a pas de correspondance évidente et immédiate entre les deux. Je mets en place la nouvelle méthode ou le nouvel outil de développement à la mode, ils n'apportent rien de plus que les précédents et changeront dans six mois, mais on est des geeks, on est bien obligé de rester à la pointe, tu comprends. Je rapporte dans des tableaux Excel de psychopathe ce que je fais minute par minute de mes journées (réunion de formation, réunion de gestion, réunion d'architecture, spécification produit, spécification technique, spécification technique détaillée, développement, écriture de tests unitaires, exécution de tests unitaires, correction d'un bug rapporté par un utilisateur, correction d'un bug de vérification, correction d'un bug de validation, gestion de projet, gestion de ressource, écriture de documentation réglementaire, écriture de documentation technique, autres tâches). On me forme à la procédure qui va me permettre de vérifier que la procédure qui sert à corriger un bug est bien opérationnelle et respectée (spoiler : elle ne l'est pas). Je développe des prototypes, j'implémente des fonctionnalités, qu'aucun utilisateur ou client final ne verront jamais parce que les commerciaux n'auront pas réussi à les vendre, ou le marketing aura changé d'avis, ou la boîte aura coulé avant la fin du projet.
Je suis développeur et ça fait maintenant trois ans que je n'ai pas développé une seule application[1].