Sur Pluton
Quelques réflexions en vrac et dans le désordre sur le survol de Pluton-la-planète-déchue par la sonde New Horizons. Attention, risques importants de chutes dans des vortex wikipédiens.
- La sonde New Horizons est le pruneau le plus rapide qu’on ait jamais balancé dans l’espace : 45 km/s, battant de peu le précédent record de 42 km/s détenu par la sonde Ulysses en 1990. Notons qu’il s’agit de la vitesse au départ de la Terre ; au fur et à mesure qu’elle s’éloigne du Soleil, sous l’effet de la gravitation, la sonde abandonne de la vitesse pour gagner de l’énergie potentielle. Aujourd’hui, la sonde voyage à 11 km/s, ce qui est une vitesse plutôt banale pour une mission interplanétaire.
- Une telle vitesse limite néanmoins considérablement la durée du survol de Pluton, et donc les expérimentations scientifiques possibles, mais il n’y avait pas moyen de faire autrement. Il aurait fallu soit embarquer des moteurs puissants (et du carburant) pour freiner la sonde à l’arrivée, mais cela aurait posé un problème de poids au décollage ; soit faire voyager la sonde moins vite pour qu’elle arrive à destination à une vitesse plus faible, mais le voyage aurait alors duré quelques années de plus. Or il n’était pas question d’attendre : du fait de son orbite très elliptique, la planète s’éloigne actuellement du Soleil, ce qui fait baisser progressivement sa température, ce qui entraine la condensation des gaz à sa surface. On estime ainsi que l’atmosphère de Pluton aura entièrement disparu en 2020. Il fallait donc arriver sur place au plus tôt pour avoir une chance de l’étudier.
- L’énergie électrique à bord est une ressource précieuse. Les seuls générateurs assez fiables pour fonctionner plusieurs décennies sans entretien à l’autre bout du système solaire sont basés sur le nucléaire. Les classiques panneaux solaires sont exclus, l’éclairage étant bien trop faible à cette distance du Soleil. En gros, on embarque un matériau radioactif qui en se désintégrant lentement dégage de la chaleur, et cette chaleur est convertie en électricité par un thermocouple. Il n’y a aucune pièce en mouvement, c’est presque inépuisable, c’est techniquement archi-simple, d’ailleurs ça a été inventé en URSS, c’est dire à quel point c’est archaïque. Mais le rendement est pathétique : on récupère entre 100 et 200 Watts électriques à peine.
- De cette électricité, seuls 5 Watts sont disponibles pour alimenter l’émetteur radio qui permet à la sonde de communiquer avec la Terre, ce qui lui confère à peu près la même puissance que l’émetteur de votre téléphone portable. La différence est que la sonde possède une antenne parabolique de 2 mètres de diamètre, bien plus efficace que l’antenne dipôle planquée dans votre téléphone. Le récepteur aussi est légèrement (ahem) plus performant que ceux installés par votre opérateur sur les toits des villes, puisqu’il s’agit d’un réseau de stations situées tout autour de la Terre et dotées chacune d’une parabole de 70 mètres.
- Comment peut-on conserver parfaitement alignées la parabole de l’émetteur située sur le satellite et la parabole du récepteur située sur Terre alors que les deux sont séparées par cinq milliards de kilomètres ? De la même manière qu’une toupie tient debout : par effet gyroscopique. La sonde tourne sur elle-même selon un axe qui passe par le centre de sa parabole, ce qui permet de stabiliser la direction de cet axe dans l’espace. De plus, quelques moteurs permettent d’effectuer des corrections si nécessaire, corrections pilotées par une caméra qui vise des étoiles de référence dont la position est bien connue. L’absence de frottement dans l’espace et le fait qu’on n’ait jamais à effectuer de manœuvre brusque permet de se contenter de moteurs peu puissants, quelques Newtons seulement en l’occurrence, soit quelques centaines de grammes de poussée.
- Les informations sont évidemment transmises sous forme numérique, c’est-à-dire une succession de 0 et de 1. Mais la faible puissance de l’émetteur et le fait que les ondes doivent traverser cinq milliards de kilomètres altèrent beaucoup le signal. À l’arrivée, il est assez difficile de distinguer ce qui était un 0 de ce qui était un 1 au départ… Pour minimiser ce problème, on utilise une fréquence de transmission très basse et on envoie l’information de façon (très) redondante ; tout cela se conjugue pour limiter le débit à seulement 1 kilo-octet par seconde, soit beaucoup moins que votre première connexion par modem à Club-Internet en 1997.
- La sonde n’embarque pas que des caméras, mais également six autres expériences scientifiques. L’ensemble des données recueillies lors du survol de Pluton le 14 juillet représente environ huit giga-octets. Étant donné le débit extrêmement bas, et étant donné que les antennes terrestres qui servent à la réception ne sont pas affectées 24/7 à New Horizons (la NASA pilote aussi quelques autres satellites…), on estime que le rapatriement sur Terre de l’ensemble de ces données prendra jusqu’à novembre 2016. (Oui, deux mille seize.) Ceci explique pourquoi seules quelques images en basse résolution ont été présentées le jour même. Des images bien plus précises et détaillées de la surface de Pluton et de ses satellites devraient suivre, mais il va falloir quelques semaines pour les recevoir. Hélas, le sujet sera passé de mode dans les médias, aussi vous conseille-je de suivre le Twitter ou l’Instagram de la NASA si vous ne voulez pas les rater.