Fin du Monde
En ce jour du solstice d’hiver, je vais me laisser aller à une douce paresse intellectuelle et suivre mollement la mode eschatologique, puisque je vais parler de fin du monde. C’est une remarque lue ça et là qui m’y pousse et qui dit en substance : de toute façon, la fin du monde à une date aussi précise que le 21 décembre 2012, ce n’est pas possible, la Terre ne peut pas disparaitre comme ça du jour au lendemain.
Repentez-vous et faites pénitence, car en vérité je vous le dis : si, c’est possible. En tout cas, je connais au moins un moyen (il y en a peut-être d’autres), dont l’efficacité est aussi redoutable que la probabilité de survenue n’est pas nulle. Je veux parler d’une collision avec un astéroïde.
Notre système solaire est plein de cailloux, résidus de la lointaine époque de sa formation. Les plus petits ont une taille de l’ordre du millimètre (voire moins) et sont extrêmement nombreux. Ce sont eux qui, en entrant dans notre atmosphère lorsque la Terre croise leur route, provoquent les étoiles filantes. Les plus gros font quelques dizaines ou centaines de kilomètres et sont bien sûr beaucoup plus rares ; les lois de la gravitation étant ce qu’elles sont, de tels monstres ont aussi beaucoup moins de chances de croiser notre route. En gros, d’après les observations historiques et géologiques, on a :
- Deux à trois cents fois par an, des météorites de quelques centimètres à quelques mètres de diamètre tombent sur Terre. Les zones habitées étant rares par rapport aux océans et aux étendues désertiques à la surface de la planète, les accidents sont rarissimes, d’autant plus que ces bolides explosent souvent dans l’atmosphère et seuls de petits fragments atteignent le sol. On a par exemple la trace d’impacts en 1979 dans l’Océan Indien, en 2002 en Méditerranée, en 2008 au Soudan… La plupart passent probablement inaperçus.
- Une à deux fois par siècle, une collision avec un astéroïde d’environ 50 mètres de diamètre. Ils provoquent des événements de type Toungouska ou Meteor Crater.
- Une fois par millénaire, une collision avec une astéroïde d’environ 100 mètres de diamètre. Un tel impact dégage une énergie de l’ordre de 100 mégatonnes, soit 6500 fois la bombe d’Hiroshima environ. Ce qui doit être suffisant pour raser la région parisienne, si Dame Nature vise bien…
- Une fois tous les 300 000 ans environ, une collision avec un astéroïde de taille kilométrique. On estime que si cela arrivait aujourd’hui dans une zone habitée, les pertes humaines seraient de l’ordre de 100 millions de morts.
- Enfin, une fois tous les 100 millions d’années environ, une collision avec un astéroïde de taille supérieure à 10 kilomètres. Les conséquences se mesurent alors à l’échelle planétaire, avec une probable extinction de masse de la plupart des espèces vivantes. Dernier événement connu de cette ampleur : un impact dans le Golfe du Mexique il y a 65 millions d’années dont on pense qu’il est responsable de la fin des dinosaures.
De telles collisions sont-elles possibles du jour au lendemain, sans aucun signe avant-coureur ? Il y a 20 ans, j’aurais sans aucun doute répondu par l’affirmative : on ne savait à peu près rien des astéroïdes géocroiseurs. Depuis, les astronomes se sont intéressés à la question et des projets de recherche visant à les recenser tous, notamment par radar, ont été développés. On estime connaître aujourd’hui environ 90 % des objets pouvant présenter une menace, comme par exemple l’astéroïde Apophis qui a fait parler de lui il y a quelques années. Les risques sont donc mieux maitrisés, mais il reste encore 10 % d’inconnus.
D’autant plus que prévoir la trajectoire de tels objets plusieurs décennies à l’avance est très complexe. Le nombre d’interactions gravitationnelles à prendre en compte est considérable, on ne les connait d’ailleurs même pas toutes. Des impondérables peuvent aussi survenir : collisions, apparition d’une comète encore inconnue qui par son influence gravitationnelle va perturber les trajectoires des astéroïdes, éruptions solaires dont le flot de particules va freiner ou accélérer les objets les plus légers, etc. Enfin, le calcul est fait par intégration numérique, un mode qui est très sensible aux petites imprécisions initiales parce qu’elles ont tendance à s’accumuler dans le temps. Ainsi, une erreur infime sur la vitesse mesurée aujourd’hui d’un astéroïde pourra par exemple signifier une erreur de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres sur sa position prévisionnelle dans 50 ans ; or, des dizaines de milliers de kilomètres, c’est suffisant pour viser ou rater la Terre…
Que faire si l’on détecte un tel danger ? Si c’est quelques jours à l’avance, comme dans certains films catastrophes bien connus, il n’y a rien à faire. Oubliez Bruce Willis et son équipe de forage. On ne sait pas envoyer de fusée (encore moins de navette spatiale puisqu’il n’y en a plus en service…) à la rencontre directe d’un astéroïde, on ne sait le faire qu’en suivant une orbite autour du Soleil, soit un détour de plusieurs mois au minimum. De plus, une explosion nucléaire serait probablement insuffisante pour détruire l’objet et éloigner la menace. Une telle découverte impromptue a déjà eu lieu ; il ne s’agissait pour cette fois que d’un objet de quelques mètres de diamètre.
En revanche, si la menace est détectée plusieurs années à l’avance, des solutions sont possibles. Toutes sont basées sur la même idée : modifier imperceptiblement la trajectoire de l’objet de telle sorte que des années plus tard, cet écart initial s’accumulant, il devienne suffisant pour que l’objet rate la Terre. On peut par exemple envoyer une fusée très rapide s’écraser sur l’astéroïde. On peut aller faire exploser une bombe à sa surface, en espérant que la vaporisation de la roche produira un effet de propulsion par réaction. On peut envoyer un vaisseau extrêmement lourd frôler l’astéroïde, afin de le dévier par interaction gravitationnelle. On peut aussi aller poser un moteur de fusée à la surface de l’objet. On peut avoir encore tout un tas d’idées plus ou moins amusantes.
Mais bon, si une telle menace était détectée, je crois que le premier et le principal problème que nous aurions à résoudre serait de nature politique : qui fait quoi, comment, et avec quel budget…