Auditions préparatoires
Ces dernières semaines, la commission des lois a organisé des auditions préparatoires au débat sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ce fut l’occasion d’une grande indignation générale sur le fait que des religieux ont à cette occasion, Ô sacrilège, été invités à pénétrer dans le Temple-Sacré-De-Notre-République-Laïque : l’Assemblée Nationale. Une indignation fort mal venue à mon avis.
On ne peut pas faire deux poids, deux mesures. Les religieux sont des citoyens comme les autres. Bon, pas tout à fait, ils parlent avec un ami imaginaire barbu qui habite dans le ciel, ils pensent que les vierges accouchent, que l’eau se transforme en vin et le vin en sang. Mais hormis cette étrange disposition d’esprit, ce sont des citoyens français à part entière. Ils ont le droit, au même titre que n’importe quel autre citoyen, de donner leur avis sur les sujets de société. On ne peut pas être pour la liberté d’expression sauf pour les gens qui ne pensent pas comme nous. On ne peut pas être pour la démocratie mais à condition que telle ou telle catégorie de la population n’y participe pas. Les citoyens ne sont pas un peu égaux, ils le sont totalement ou pas du tout ; c’est justement un des slogans LGBT, commençons donc par l’appliquer nous-même.
Et que notre république soit laïque n’a rien à voir dans l’histoire. La laïcité parle de la liberté de croyance, de la non-subvention des cultes par les deniers publics, de l’égalité juridique de toutes les religions. L’esprit de la loi de 1905, ce n’est pas l’interdiction des religions dans l'espace public, mais leur respect.
Laissons donc radoter ces vieilles badernes à l’Assemblée Nationale : ce n’est pas parce qu’elle donnent leur avis qu’on les écoutera. D’ailleurs, quiconque a assisté à ces auditions a pu constater comment les députés ont sèchement renvoyé dans les cordes ces sectaires d’un autre âge ; quelques UMP s’étaient même indignés de ce soi-disant manque de respect dans une tribune du Figaro. Aucun des propos de ces religieux ne menacera donc ni la laïcité, ni la république, ni le projet de loi qui nous occupe.
Non, à mon sens, le vrai problème de ces auditions à l’Assemblée ne réside pas dans la parole accordée à l’un ou à l’autre, mais bien dans l’existence même d’une telle enquête. Ces auditions nous placent en position d’objets d’étude : pour la Science, avec l’intervention des psychiatres et des sociologues, pour la Morale, avec l’intervention des religieux et des philosophes. Ces auditions nous placent dans la position des Indiens d’Amérique lorsque des religieux à Valladolid cherchaient à savoir s’ils avaient une âme humaine, dans la position des Noirs quand on se demandait s’il était légitime de les réduire en esclavage, dans la position des femmes quand on se demandait s’il n’était pas dangereux pour la démocratie de leur accorder le droit de vote.
Dans tous ces débats, passés et actuels, la majorité s’arroge le droit de juger une minorité en la soumettant à des critères d’évaluation qu’elle n’aurait même pas l’idée de s’appliquer à elle-même, tant elle est persuadée de sa normalité, de sa supériorité, de la légitimité de son pouvoir. Elle s’interroge sur la valeur du mariage de deux hommes, mais pas sur celui des huit mariages de Liz Taylor ou du mariage éclair de Britney Spears qui n’a tenu que deux jours. Elle reste circonspecte sur l’idée d’une filiation homosexuelle qui ne serait pas biologique, sans voir la masse écrasante des cas hétérosexuels où elle ne l’est déjà plus depuis longtemps (familles recomposées, accouchements sous X, enfants adoptés ou illégitimes…). Elle s’inquiète a priori des conséquences psychologiques sur les enfants d’avoir des parents homos, au point de vouloir l’interdire sur le plan législatif ; tandis qu’elle ne s’inquiète qu’a posteriori, sur le plan judiciaire – donc généralement trop tard – des parents hétéros alcooliques, violents, maltraitants. Et le jour où un unique fait divers sordide impliquera un couple homo, la majorité en fera un cas emblématique en hurlant « on vous l’avait bien dit ! », tout en ignorant superbement que dans ses rangs, tous les jours, des couples hétéros agissent de bien pire façon.
Pour injurieuse que soit l’existence même de ces auditions, elles sont cependant nécessaires. Déjà que nos opposants se plaignent d’une absence de débat alors qu’il a lieu tous les jours, dans tous les médias, depuis neuf mois, je n’ose pas imaginer ce qu’ils diraient si la loi était passée du jour au lendemain sans concertation ! De plus, toutes ces discussions agissent sur les mentalités. Elles mettent en lumière l’arbitraire ou l’infondé de certaines idées préconçues, contribuant ainsi à les changer ; elles ringardisent l’homophobie, lui attachent une connotation négative, péjorative et ce faisant, enferment nos opposants dans des contradictions insolubles. Ainsi le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui ayant très bien compris qu’être homophobe était désormais mal vu, déclarait hier qu’il était opposé à l’homosexualité mais qu’il refusait d’être taxé d’homophobie. Le propos est si évidemment ridicule qu’on n’a même pas besoin de le démonter, son promoteur se décrédibilise tout seul aux yeux de tous.
Dans cinquante ans, on regardera les auteurs de cette actuelle controverse comme on regarde les auteurs de la controverse de Valladolid : comme des arriérés, des barbares, des ignorants. Avoir cette certitude absolue que nous sommes du bon côté de l’Histoire, c’est probablement ce qui me donne le plus de force en ce moment.