Petit manuel de gayrilla (2)
Comme on pouvait s’y attendre, le projet de loi sur l’ouverture du mariage aux couples homosexuels déclenche des avalanches quasi quotidiennes de déclarations ridicules, stupides, voire insultantes. Je n’ai pas envie de revenir sur chacune d’elle en particulier, je pense que la plupart sont suffisamment idiotes pour s’auto-discréditer toutes seules. Ce qui est excessif est insignifiant. Mais j’aimerais tout de même rebondir sur quelques points.
La perte des valeurs
C’est le grand credo de Christine Boutin et des membres de son parti : accorder le mariage à tous est un signe de la perte des valeurs de notre société, cela irait même (sic) jusqu’à brouiller les repères dont nos concitoyens ont particulièrement besoin en ce moment.
Stratégie de communication classique : ce sont des phrases tellement creuses que tout un chacun peut les approuver mollement. Du simple fait que les valeurs de la jeune génération sont différentes de celles de l’ancienne, toute personne suffisamment âgée peut en déduire que les valeurs se perdent. Or non, les valeurs ne se perdent pas. Elles évoluent.
Ainsi donc, pour le Parti Chrétien Démocrate, ouvrir le mariage aux couples de même sexe serait une perte de valeurs. Mais lesquelles ? La fécondité du mariage ? Les homos ne sont pas stériles (voir point suivant). La supériorité du couple hétéro pour fonder un foyer et élever des enfants ? Plusieurs dizaines d’études montrent que c’est faux. La supériorité du couple hétéro pour fonder la société ? J’attends encore qu’on m’énumère les compétences que les hétéros apporteraient aux sociétés humaines que les homos ne pourraient apporter. La conformité du couple hétéro au schéma divin ? Un tiers des Français ne croient en aucun Dieu, il n’y a aucune raison pour que des considérations purement religieuses s’imposent à eux par le biais des lois que ces considérations inspireraient, c’est le sens même de la laïcité.
Certes, ces quelques valeurs ont pu avoir un sens par le passé, quand les homos n’osaient pas se mettre ouvertement en couple stable, quand on ignorait que les enfants n’avaient pas obligatoirement besoin de parents hétéros pour être heureux et bien éduqués, quand la majorité des citoyens étaient croyants et pratiquaient la même religion. Elles n’ont plus de sens aujourd’hui. S’en débarrasser n’est pas une perte, c’est un progrès.
Quand Christine Boutin parle de perte de valeur, elle est partiale et partielle. Partiale parce que les valeurs dont elle parle sont désuètes pour la majorité d’entre nous ; partielle parce que si elle insiste sur les pertes, elle omet totalement de parler des gains. Et en terme de valeurs, puisque c’est le sujet qui semble lui tenir à cœur, le gain est considérable : la réaffirmation d’un principe fondamental de notre République, l’égalité de tous les citoyens.
La natalité
On entend encore (plus souvent il est vrai sous la plume des commentateurs de journaux en ligne que dans la bouche des politiques) l’argument de la natalité, qui veut que l’État serait suicidaire d’encourager une forme d’union qui serait stérile.
D’abord, la natalité n’est pas un problème en France, nous faisons même partie des pays occidentaux avec les plus forts taux de natalité. À titre personnel, je n’y vois d’ailleurs rien de glorieux ni même de souhaitable : sans aller jusqu’à tomber dans le malthusianisme, il me parait plus urgent de maîtriser la natalité que de la valoriser à tout prix.
Ensuite, il est question d’autoriser les unions homosexuelles, ce qui n’est pas la même chose que de les encourager, d’autant que je ne vois pas bien comment on pourrait encourager les gens à devenir homos. (Mais j’ai déjà mentionné comment la rhétorique catholique emprunte un peu rapidement les raccourcis entre autoriser, obliger, encourager…) Et puis les homos actuels ne s’engagent pratiquement plus dans des unions hétérosexuelles faute de mieux, comme pouvaient le faire leurs aînés ; les autoriser ou non à se marier entre eux a donc une influence quasi nulle sur le nombre des mariages hétéros, ceux qui seraient prétendument bons pour l’État par la vertu de leur naturelle fécondité.
Prétendument, car union homo ou hétérosexuelle, cette question de la fécondité n’existe pas. Les homos sont juste homos, pas stériles. Rien si ce n’est la législation n’empêche les couples homos d’avoir des enfants. De fait, beaucoup en ont. Comme c’est illégal (la manipulation du sperme en dehors du corps humain pour des raisons autres que médicales est interdite), je ne vais pas vous expliquer comment on fait des bébés avec un gay, une lesbienne et une seringue… Si problème de natalité il y a, il est dû à la loi qui interdit la PMA, pas à l’orientation sexuelle des couples.
Notons d’ailleurs que ce sont ceux qui reprochent aux homos de ne pas pouvoir fonder une famille qui s’opposent aussi à l’autorisation de la PMA et de l’adoption. À tous les coups on perd ! Ils reprochent aux homos de faire baisser la natalité et en même temps s’opposent à la loi qui leur permettrait de l’augmenter. Ils accusent les homos de bafouer les droits de l’enfant à avoir un foyer « normal » et en même temps les obligent à se rabattre sur des arrangements peu satisfaisants de co-parentalité entre couples gays et couples lesbiens. Il faudrait savoir. Le problème, c’est que nous ne puissions pas avoir des enfants, ou bien que nous puissions en avoir ?
Ce n’est pas prioritaire, ça ne concerne qu’une minorité
C’est justement parce que ça concerne une minorité que c’est prioritaire. Le degré de civilisation d’une société se mesure à la façon dont elle traite ses minorités et je ne vois pas bien ce qui pourrait être plus urgent que de nous améliorer sur ce sujet où nous ne brillons guère.
Par ailleurs, étendre le mariage aux couples homosexuels fait partie de la lutte contre l’homophobie, la lutte contre l’homophobie améliore les conditions de vie des homosexuels, ce qui se traduit par un coût social et économique moins élevé : moins de maladie dues au stress, moins d’agressions physiques donc moins d’interruptions temporaires de travail, plus grand sentiment de justice donc meilleure paix sociale… Bien traiter les minorités, c’est augmenter le bien-être de tous.
Enfin, les modifications de Code Civil dont il est question ici sont ridiculement faciles à faire. Il faut juste changer l’article qui définit le mariage et ensuite, mettre une armée de juristes sur la mise en cohérence de tout le reste ; ce qui consiste principalement à remplacer partout les termes mari et femme par un terme neutre. Si le gouvernement n’a pas les moyens de faire une chose aussi simple, alors il n’a les moyens de rien faire.
En fait, ce qui prend le plus de temps dans cette histoire, c’est de ferrailler avec l’opposition. Qu’ils se calment et ça dégagera plein de temps pour s’attaquer aux fameux autres problèmes qu’ils nous disent tellement plus urgents…
Être contre le mariage n’est pas homophobe
C’est encore ce qu’essaie piteusement de démontrer un prêtre dans les pages du Monde. Mais évidemment, ça ne tient pas, il ne suffit pas de clamer partout qu’on n’est pas homophobe pour ne pas l’être.
Il n’existe aucun argument contre l’ouverture du mariage aux homosexuels qui ne sous-entende pas, quand on creuse un peu et qu’on va au fond des choses, l’idée que les hétéros seraient supérieurs aux homos. Si cette supériorité était avérée, ce serait une simple description de la réalité et je ne trouverais rien à y redire ; mais elle ne l’est pas, dans aucun domaine, et notamment pas ceux que cite ce prêtre, comme par exemple l’éducation des enfants ou la capacité à fonder une famille. C’est donc un jugement de valeur négatif, arbitraire, qui entraine une discrimination.
Ce qui est la définition même de l’homophobie.