L’incompréhensible engouement pour le vinyle
J’ai passé toute mon enfance et mon adolescence à écouter des disques vinyles, vu qu’il n’y avait rien d’autre à l’époque. Et vous savez quoi ? C’était de la merde. Littéralement de la grosse merde. La durée d’une face ne dépassait pas trente minutes, la plupart des œuvres classiques demandaient au moins deux faces, je ne parle même pas des opéras, il fallait au moins cinq ou six faces, c’était pas des enregistrements musicaux, c’était du saucissonnage. Il fallait se lever de son bureau sans arrêt pour aller retourner ou changer le disque, au bout de la troisième fois on avait la flemme et on laissait le disque tourner sans fin en silence dans le dernier sillon. Le son était pourri, ça manquait de dynamique, de définition et de bande passante, ça grattait, ça raclait, ça sautait, on avait l’impression d’écouter un orchestre situé sur un autre continent à travers une ligne téléphonique soviétique. Le support était fragile, il fallait être précautionneux pour ne pas le rayer, ne pas laisser la poussière s’accumuler dans les sillons, ranger les disques bien serrés verticalement dans le meuble pour leur ôter l’envie de gondoler. Plus on l’écoutait, plus les sillons s’usaient et plus le son devenait dégueu, un vinyle de quinze ou vingt ans d’âge était littéralement inutilisable. J’ai passé mes années de conservatoire à étudier des œuvres en m’esquintant l’oreille à essayer d’entendre, en vain, au milieu du magma sonore informe, toutes les notes que je voyais écrites sur les partitions.
Je pense que j’ai acheté un lecteur CD dès que j’ai pu, en 1984 ou 85, je ne me rappelle pas exactement. C’était la révolution. Plus besoin de se lever pour aller changer le disque au milieu d’une œuvre ! La définition sonore était impeccable ! Le support était quasi éternel ! Pour la première fois, j’arrivais à entendre toutes les notes des partitions, et même plus ! Je me rappelle de ce concerto pour hautbois où on entendait le bruit mécanique des clefs et la respiration de l’instrumentiste. Je me rappelle d’une messe de Bach où pendant les silences, on entendait la réverbération de la salle. Je me rappelle de mon émerveillement devant les violons qui pour la première fois avaient à peu près le même son au disque et au concert. (Je ne sais pas ce qu’il y a de particulier avec les violons, probablement une histoire d’harmoniques et de bande passante, mais c’est vraiment l’instrument qui avait le son le plus méconnaissable sur les vinyles…)
Je préfèrerais m’arracher un bras plutôt que d’écouter à nouveau de la musique enregistrée sur un disque microsillon. La passion actuelle pour le vinyle, pour moi, c’est à peu près aussi incompréhensible que si les gens décidaient de se déplacer en voiture à vapeur, ou de communiquer par télégraphe en morse, ou de se soigner avec les techniques chirurgicales du XIXe siècle. Ça n’a aucun sens. C’est complètement con. Une espèce de nostalgie, d’idolâtrie pour une technique dépassée n’ayant que des inconvénients. C’est indéfendable.
Vous voulez mon avis ? Les gens qui achètent des disques vinyles sont des gens qui n’aiment pas la musique.