Ascenseur pour les fachos

Absolument tout est horripilant chez les macronistes, mais le petit refrain qui me donne vraiment envie de casser des trucs en ce moment, c’est leur volonté de faire croire que si le RN monte, c’est de la faute aux Insoumis.

La logique derrière cette affirmation est que Mélenchon étant un repoussoir (on ne peut pas leur donner tort sur ce point…) le vote protestataire se reporte mécaniquement sur le RN. C’est sans doute vrai d’une minorité, mais globalement ça ne tient pas la route. D’abord parce qu’il y a des chiffres, en l’occurrence ceux du report de voix entre le premier tour et le second tour de la présidentielle 2022.

La grosse majorité des électeurs LFI s’est reportée sur Macron ou s’est abstenue. Seul 17 % ont basculé vers le RN. Le transfert de voix est faible (et d’ailleurs, il est plus important venant de LR). Les extrêmes ne se rejoignent pas, contrairement à ce dont on nous rebat les oreilles depuis vingt ans et de toute façon, LFI n’est même pas un parti extrémiste. Leur programme est moins à gauche que celui de Mitterrand en 1981 : pas question de nationalisations massives, pas question de supprimer l’enseignement privé, pas question de revenir sur la plupart des mesures économiques libérales de ces dernières décennies… Quand LFI commencera à parler de saisir les moyens de production, d’instaurer la dictature du prolétariat et de guillotiner des bourgeois, on commencera à s’inquiéter, mais pour l’instant je considère que toute personne qui place LFI à l’extrême-gauche est ipso facto disqualifiée pour parler sérieusement de politique. Les mots ont un sens et les idées ont une histoire.

D’autre part, les candidats protestataires ne sont pas interchangeables. Il y a des marqueurs idéologiques, des lignes de clivage qui sont difficilement franchissables. Et c’est normal. La gauche et la droite ne se contentent pas de proposer des programmes politiques différents, ce sont aussi et avant tout des interprétations du monde et des valeurs morales différentes et ça, ce sont des choses profondément ancrées en nous. On n’en change pas en un claquement de doigt. Bien sûr, des revirements individuels surviennent (exemples célèbres : Victor Hugo qui est passé des conservateurs royalistes à l’extrême-gauche, ou Fiodor Dostoïevski qui est passé du socialisme au nationalisme russe) et puis la fameuse fenêtre d’Overton bouge avec le temps, ce qui en modifiant ce qui est perçu comme normal ou acceptable, fait évoluer le côté où penche la majorité. On le constate d’ailleurs : depuis quarante ans, le gauche baisse inexorablement au profit de la droite. Mais globalement, la plupart des gens ne sont pas des girouettes. C’est bien connu, en France, les élections se jouent sur les 10 à 15 % d’électeurs volatiles, peu politisés, qui sont les seuls susceptibles de basculer.

Enfin et surtout, il faudrait revenir aux bases et se rappeler de cette vieille parabole de la paille et de la poutre. Si le RN monte, c’est parce que la majeure partie de la population est maltraitée : recul des droits des travailleurs, report de l’âge de la retraite, disparition des services publics, désertification médicale, inflation, explosion des inégalités économiques et sociales, etc. Et jusqu’à preuve du contraire, cette politique, ce n’est pas LFI qui la mène. Si le RN monte, c’est parce que ses thèmes, sa vision du monde, parfois littéralement son programme, sont banalisés en étant repris par les partis traditionnels : vocabulaire d’extrême-droite, succession de lois de sécurité intérieure répressives augmentant le pouvoir des flics au détriment de celui des juges, traitement de l’immigration, délires autour du wokisme, indulgence envers les actions des groupuscules fascistes, absence de projet sérieux sur les discrimination des minorités, etc. Sur absolument tous ces sujets, LFI tire la fenêtre d’Overton vers la gauche, à la différence des macronistes qui la tirent chaque jour un peu plus vers le pire. Si le RN monte, c’est enfin parce que plein de gens en ont marre d’être pris pour des cons en permanence. Ça a commencé avec Hollande, cette manie de faire voter des lois de destruction en prétendant envers et contre tout qu’elles étaient des lois d’amélioration, mais Macron a fait de cette pratique un art qui a culminé en apothéose sublime avec la réforme des retraites. Rendre les débats confus en violant constamment le sens des mots et en faisant comme si la vérité n’avait plus aucune importance, c’est littéralement du Orwell.

(Si le RN monte, c’est aussi parce que des médias et des réseaux sociaux font le pari du buzz et de la désinformation, parce que ça rapporte plus de clics que l’information honnête. Mais c’est un autre sujet.)

Bref, si le RN monte, c’est parce que le gouvernement joue avec le feu depuis des années, et à ce petit jeu-là, on va tous perdre.