Safe Med

Il y a très longtemps, j’ai vu un psy et ça ne s’est pas très bien passé. Certes, ce fort vénérable praticien n’avait rien contre les homos en tant que personnes et d’ailleurs, aimait-il à raconter, à l’époque où il exerçait dans un hôpital militaire, il était tombé plus d’une fois en entrant dans une chambre sur des bidasses qui s’enfilent sans que ça le choque outre mesure, haha, c’est la nature, ça ne fait de mal à personne. En revanche, il était totalement opposé aux homos en tant que groupe social : pas de PaCS (on ne parlait pas encore de mariage à l’époque), pas d’adoption, pas de reconnaissance légale de quoi que ce soit, pas de visibilité, etc. Les Marches des Fiertés étaient pour lui des exhibitions honteuses, toute revendication constituait une aberration politique et tout lieu de sociabilité gay témoignait de notre enfermement communautaire.

Des années plus tard, j’ai vu un autre psy. Une personne sympathique et ouverte, mais un peu naïve et qui ne connaissait rien – mais alors rien de rien – aux oppressions systémiques. Un jour, il me dit : mais vous parlez comme si le monde entier était homophobe, de nos jours c’est exagéré ! Je lui ai donc expliqué que littéralement à chaque minute de ma vie je suis confronté au fait que le monde n’est pas conçu pour moi : je dois contrôler mon comportement dans l’espace public parce qu’y être soupçonné d’homosexualité est dangereux, plein de procédures et de formulaires ne sont pas prévus pour le cas Monsieur et Monsieur, on a une appréhension chaque fois que l’on doit faire venir un inconnu à la maison (médecin, plombier, facteur…) parce qu’on sait que des personnes réagissent mal devant des gays, on n’écrit pas nos prénoms sur la boite aux lettres pour cette même raison, même appréhension quand on arrive dans un hôtel où l’on a réservé une chambre avec un seul lit, le monde du travail est rempli de blagues sur les pédés et de managers qui participent à la manif pour tous, on s’abstient de trop raconter sa vie à la machine à café parce que répondre « j’étais à la gay pride » quand on vous demande ce que vous avez fait ce week-end est le plus sûr moyen de s’embarquer dans une discussion aussi interminable qu’affligeante et franchement, je n’ai plus la patience, on ne peut pas lire un article dans le journal sur un sujet LGBTQ+ qui ne soit pas rempli de conneries et si c’est un journal en ligne, qui ne soit pas suivi d’un torrent d’insultes dans les commentaires, on sert de caution politique à la moitié de la gauche et de punching ball à la moitié de la droite, nos vies sont disséquées et jugées en place publique dès qu’on prétend faire le moindre truc normal comme travailler au contact d’enfants ou fonder une famille, les médias déroulent le tapis rouge aux réacs qui nous vomissent dessus sans leur opposer la moindre contradiction, les films et les reportages qui passent chaque année à la télé où je peux m’identifier à un personnage positif se comptent sur les doigts des deux mains et de toute façon ils passent à une heure du matin pour ne choquer personne, etc. Ah, mais si vous allez par-là, me répondit le brave homme, vous ne vous sentirez jamais en sécurité nulle part ! Ben oui chou, c’est justement le problème, allô ? Quelques temps plus tard, il m’a affirmé que la Loi avait pour but d’indiquer aux citoyens où étaient le Bien et le Mal, le vieil anar à l’intérieur de moi s’est retrouvé en PLS, je lui ai répondu que la Shoah était légale donc ça devait sûrement être une bonne chose et j’ai arrêté de le voir peu après.

Et puis il y a quelques semaines, ma généraliste, impuissante devant une recrudescence de manifestations somatiques, m’encourage à retenter l’expérience et m’adresse à une nouvelle psy. J’y vais, première séance, contact mitigé mais je fais un effort, puis elle me demande si j’ai déjà consulté, je lui explique brièvement mes déboires, elle démarre au quart de tour et me rétorque que de toute façon, les gays, dès qu’on n’est pas d’accord avec vous on est taxé d’homophobie, on peut parfaitement être contre le mariage pour tous sans être homophobe et puis d’ailleurs étymologiquement ce mot ne veut rien dire, l’homophobie si on y réfléchit bien ça n’existe pas, etc. ; ceux qui ont un peu de militantisme derrière eux auront reconnu les éléments de langage habituels des mouvements anti-égalité. Je suis retourné la voir une seconde fois quand même, parce qu’elle avait fait une erreur sur l’ordonnance la première fois (bonjour l’acte manqué, j’ai envie de dire…) et il fallait qu’elle la corrige si je voulais avoir mes médocs, mais il n’y aura évidemment pas de troisième fois.

Tout ça pour dire que primo, je trouve quand même gênant que des gens dont le boulot est de s’occuper de santé mentale soient aussi peu formés sur les mécanismes systémiques et les oppressions (voire en soient eux-mêmes des vecteurs) alors que ces mécanismes sont justement à l’origine de quelques unes des pathologies pour lesquelles on les consulte ; et secundo, faites pas les étonnés quand on fait des listes de médecins safe et de médecins pas safe.