Statistiques et LGBT

Un ami demande sur Twitter quel est le pourcentage de personnes LGBT dans la population française. Mon problème est que cette question n’a pas de réponse et peut-être même, pas de sens. (Je ne parlerai que des problématiques G et B et laisserai de côté le L et le T, que je maîtrise nettement moins bien.)

Il est évident que l’on doit compter parmi les gays les hommes qui entretiennent des relations amoureuses et sexuelles stables avec un ou plusieurs autres hommes et qui le revendiquent. Ça ne fait aucun doute.

Mais comment compter les hommes qui entretiennent des relations amoureuses et sexuelles stables avec un ou plusieurs autres hommes mais qui le nient farouchement si par hasard on leur pose la question ? Doit-on compter les hommes qui sont en couple hétérosexuel stable mais qui adorent sucer une bite de temps en temps, oh pas souvent, disons une fois tous les deux ou trois ans, pas plus, juste quand l’envie devient vraiment trop forte ? Doit-on compter les hommes qui ont au moins une fois dans leur vie tripoté le sexe d’un autre homme jusqu’à éjaculation ? Si j’en crois mes souvenirs d’adolescent, ça ferait beaucoup de monde… Il faudrait limiter aux expériences, disons, adultes ; mais l’âge adulte, en matière de sexualité, ça commence quand ? Et si on est adulte mais qu’on a des relations homosexuelles par défaut, parce qu’on se trouve dans un environnement exclusivement masculin (prison, internat, marine…) mais qu’au fond, ça n’est pas ce qu’on préfère, est-ce que ça compte ? Et si c’est culturel, comme le hammam des pays arabes ? Doit-on compter les hommes qui jusque-là n’ont jamais eu que des relations hétérosexuelles mais qui n’excluent pas l’idée qu’un jour, si l’occasion et le moment se présentent, ils pourraient se mettre en couple avec un autre homme ? Ces gens se revendiqueraient probablement bisexuels si on leur demandait, mais on risquerait alors d’inclure parmi les LGBT des gens qui seront peut-être techniquement hétérosexuels toute leur vie parce que l’occasion et le moment ne se seront jamais présentés. Doit-on compter les hommes qui couchent avec d’autres hommes mais qui ne se définissent pas comme gay, parce qu’ils n’ont pas encore fait ce chemin dans leur tête ? (Personnellement, j’ai fait ce chemin à l’âge de 26 ou 27 ans, autrement dit j’ai faussé les statistiques pendant longtemps !) Doit-on aussi compter les hommes qui fantasment à en crever sur leur voisin de douche à la salle de sport mais qui ne passeront jamais à l’acte parce qu’ils se l’interdisent pour cause de barrières morales strictes ?

Il faudrait peut-être définir ce qu’est une relation (homo) sexuelle pour y voir plus clair. Faire des trucs avec ses organes génitaux ? La plupart des gens ne classent pas la bouche ou les mains parmi les organes génitaux. Pénétrer une autre personne ? Oui mais alors, la masturbation ? Et qu’en pensent, dans la très chrétienne Amérique, ces jeunes filles qui sont sincèrement persuadées d’arriver vierges au mariage au prétexte qu’elles n’ont jamais eu de rapport vaginal, bien qu’elles s’envoient des kilomètres de bites ? Pour les homosexuels, on pourrait être tenté d’assimiler le rapport sexuel à la sodomie ; mais ça ne marche pas non plus, seulement 35 % des personnes se revendiquant comme gays pratiquent effectivement la sodomie.

Bien sûr, on peut donner des définitions très techniques à tout ça. Par exemple, dire qu’un homosexuel est un homme qui amène volontairement un autre homme à avoir un orgasme, de façon régulière et répétée, sur une période de temps assez large, à l’âge adulte, etc. Mais se posent alors des difficultés méthodologiques : il n’y a pas de caméra derrière chaque individu, tout recensement ne peut se faire que sur la base de déclarations ; et l’homosexualité pouvant être perçue comme honteuse, ou secrète, son aveu pouvant même être dangereux, beaucoup d’hommes mentent lorsqu’ils sont interrogés sur la question.

Bref, puisqu’on demande des chiffres, en voici quelques uns, parfaitement pifométriques, basés sur mon vécu et mon milieu ; je suis sûr que des personnes d’autres cultures ou d’autres milieux donneraient des chiffres différents :

On est bien avancé, avec ça.

En fait, une notion que je n’ai comprise qu’assez récemment est que l’homosexualité n’a que peu à voir avec les pratiques sexuelles (pas étonnant d’ailleurs vu la difficulté à les définir proprement et l'écart entre les pratiques réelles et le ressenti des intéressés…), mais qu’il s’agit plutôt d’une identité sociale, d’un stéréotype, voire d’un archétype.

Vous pouvez refuser, accepter ou revendiquer cette identité. Elle peut vous être attribuée par les autres (en pratique : par défaut vous êtes hétéro, sauf si vous êtes un homme efféminé ou une femme masculine) et dans ce cas vous ne pouvez pas y faire grand-chose. Avec cette identité homosexuelle vient tout un ensemble d’images, de stéréotypes, qu’on vous colle d’office ; mais surtout, avec elle, vient votre place dans la société.

Si vous êtes identifié comme homosexuel, il est normal de se moquer de vous à l’école, dans votre milieu professionnel, dans diverses œuvres de fiction, dans les médias ; il est normal que vous cachiez votre orientation sexuelle, en ne faisant pas de démonstration d’affection en public, en ne parlant pas de votre famille à vos collègues ; il est normal que certains droits ne s’appliquent pas à vous et il est normal que des élus qui ne connaissent strictement rien à votre vie en décident à votre place ; il est normal qu’on se méfie dès que vous approchez des enfants parce que vous êtes au mieux un mauvais exemple, au pire un pédophile en puissance ; etc.

Et la preuve que tout ceci est purement social et n’a rien à voir avec ce que vous faites en pratique avec vos organes génitaux, c’est qu’il suffit pour un hétérosexuel d’avoir l’air homosexuel pour se retrouver victime de ces manifestations d’homophobie, tandis qu’il suffit à un homosexuel d’avoir l’air hétérosexuel (par exemple en épousant une femme, coucou Pierre Palmade, coucou Yves Mourousi, coucou des milliers de pédés chaque année en fait) pour acquérir tous les avantages sociaux et légaux que procure l’identité hétérosexuelle.