Marches 2014
La question de savoir ce qu’est la gay pride se pose de façon de plus en plus sensible. À l’origine, il s’agissait d’un mouvement politique porteur de revendications d’égalité, de non-discrimination, de tolérance, etc. Il s’agissait également d’affirmer, en réaction à la répression tant policière que sociale, que l’homosexualité n’était pas une honte, d’où le nom de « pride ». Mais aujourd’hui ?
Sans compter les gens qui viennent juste pour faire la fête (dont beaucoup sont d’ailleurs hétéros), je pense que nous assistons à un conflit entre deux conceptions de la gay pride ; et ça transparait au travers d’un certain nombre d’incidents, qui se répètent, voire s’aggravent, marche après marche : la tentative d’expulsion du char de GayLib il y a quelques années à Paris, la scission de l’association chargée d’organiser la marche à Marseille, le conflit entre associations LGBT et féministes à Lyon, le blocage du char de Flag (l’association homosexuelle de la Police Nationale) à Toulouse…
D’un côté, il y a ceux qui pensent qu’il suffit d’être homo pour défiler à la gay pride. Après tout, être homo est difficile dans tous les milieux, on doit donc accepter les homos venant de tous les milieux. De plus, on ne peut pas prôner l’égalité des droits entre homos et hétéros si l’on établit soi-même une hiérarchie entre les « bons » et les « mauvais » homos, on ne peut pas prôner une société inclusive si l’on pratique soi-même l’exclusion.
D’un autre côté, il y a ceux qui pensent que défiler à la gay pride implique de supporter un certain nombre de valeurs politiques et d’en avoir fait la preuve. Pas de place pour le pink washing : il ne suffit pas de se revendiquer homophile, il faut aussi s’être illustré activement dans la lutte contre l’homophobie et pour l’égalité des droits. De là viennent les grincements de dent quand l’UMP envoie un char à la gay pride l’année où Sarkozy enterre toute avancée des droits des homos, ou quand le PS y débarque juste après avoir abandonné la PMA et le jour même où il annonce reculer face aux extrémistes sur les ABCD de l’égalité.
Quelqu’un sur twitter disait qu’avant deux ou trois ans, il y aurait un char FN à la gay pride. L’acceptera-t-on ? Un autre disait : et si l’armée se présente avec un char Panzer repeint en rose ? L’acceptera-t-on ? Ils n’ont pas tort. Jusqu’où faut-il ne pas respecter les droits de l’homme pour se faire exclure d’une manifestation dont le fondement politique est justement de faire avancer les droits de l’homme ? C’est la question posée par la participation de Flag. Ce sont des flics, des gens qui en rentrant du joyeux défilé arc-en-ciel prendront leur service et iront faire chier les arabes des cités ou expulser des étrangers à Roissy[1]. Certains ont trouvé que ça n’était pas compatible avec les valeurs historiques du militantisme LGBT, et je dois dire que je les comprends très bien.
J’ai l’impression que l’on se dirige de plus en plus vers une gay pride « bisounours » où on accepte tout le monde parce qu’on est des gentils homos tolérants. Chaque année j’y vois de moins en moins d’associations politiques (les Panthères Roses, les Dur-e-s à Queer, les Lesbiennes Radicales…) et de plus en plus d’associations festives et de partis conventionnels, aux revendications plus molles, plus consensuelles ; et de plus en plus de marques (Renault, SFR…) qui ne viennent là que pour s’offrir une façade gay friendly à bon compte. C’est dommage mais c’est aussi probablement un signe que la situation des homos en France s’est améliorée[2] au point que beaucoup estiment, à tort ou à raison, que la lutte n’est plus d’actualité.