Curriculum Vitae

Après un mois et demi de vacances à durée indéterminée, j'ai enfin retrouvé du boulot. Ce fut plus difficile que la dernière fois. Il faut croire que le marché du travail s'est tassé et que mes compétences professionnelles ne coïncident plus exactement avec les compétences à la mode. Bref, c'est l'occasion de mettre à jour et de republier un vieux billet, le CV En Images ! (Toutes les photos ci-dessous proviennent de Google Street View.)

J'étais tout jeune, premier boulot, dans le milieu associatif. Si j'en crois la capture d'écran ci-dessus, des pavillons moches ont poussé à la place des locaux aujourd'hui détruits. L'expérience aurait été sympathique si mon chef n’avait pas été un psychopathe qui répondait systématiquement « débrouille-toi, il faut que tu te formes ! » à toutes mes questions. Il avait dû lire un truc sur l’auto-construction des savoirs dans La Pédagogie pour les Nuls. Ensuite, il m’engueulait parce que le boulot qu’il avait refusé de m’expliquer comment faire n’était pas fait comme il le voulait. J’ai rapidement pris le parti de ne plus rien foutre ; c’était moins humiliant de me faire pourrir la gueule parce que je n’avais rien fait que parce que j’avais fait quelque chose. Pas mal de nuits d’insomnies sur le thème « je ne veux pas aller bosser demain ». Mon pire cauchemar ? Quand je m’aperçois qu’aujourd’hui, étant cadre à mon tour, il m’arrive parfois de reproduire involontairement ces schémas pervers avec mon équipe.

Un poste peinard dans l’informatique industrielle, à dix minutes de chez moi. Peu de temps après mon arrivée, un italien fut embauché ; quand il découvrit la disposition des lieux, il me regarda d’un air désespéré et me dit avec un accent de mafioso sicilien : « M’enfin petit, tu es fou, le bureau, jamais dos à la fenêtre voyons, c’est trop dangereux ! » Et il retourna son bureau de façon à être assis face à la rue. Si j’en crois LinkedIn, ce gars est aujourd’hui directeur régional d’une des plus grosses SSII de France. On travaillait en collaboration avec une société canadienne. L’internet public n’existait pas. Pour échanger nos fichiers, on s’envoyait des disquettes par FedEx. Vingt-quatre heures pour expédier 1,44 méga-octets, ce n’était de toute façon pas beaucoup plus lent qu'un modem. Ironiquement, un des plus gros nœuds du réseau internet français de l'époque passait de l'autre côté de la rue, au défunt Centre Inter Régional de Calcul Électronique, et nous n'avions aucun moyen de nous brancher dessus…

Quelques mois passés dans un Grand Organisme De Recherche Français. La meilleure cantine qu’il m’ait été donné l’occasion de fréquenter. La Nation soigne ses chercheurs, ou du moins leur estomac. Je passais mon temps dans une grande salle climatisée avec des super-calculateurs, des dérouleurs de bande magnétique et des terminaux X11 partout. Un film de science-fiction des années 1970 fait réalité. Mon contrat n’a pas été renouvelé parce que personne n’était sûr de la pérennité de mon poste et qu’il valait mieux se débarrasser de moi avant la limite fatidique des six mois au-delà desquels licencier quelqu’un coûte beaucoup plus cher. De toute façon, vu le salaire, je ne serais pas resté. La Nation soigne ses chercheurs, mais elle n’a pas encore compris que ses chercheurs avaient un loyer à payer.

Trois ans dans des bâtiments classés monuments historiques au milieu du Parc Montsouris. Enfin en théorie. En pratique, les locaux étaient trop exigus et je travaillais le plus souvent depuis chez moi, ne passant au siège que pour les réunions, ce qui m'arrangeait puisque j'habitais principalement à Rennes à cette époque. On avait un double des clefs afin de pouvoir accéder aux locaux en dehors des horaires d’ouverture du parc. J’étais sexuellement très calme à l’époque et je n’en ai jamais profité. Quelques années plus tard, je ne vous raconte pas le nombre de plans cul que j'aurais fait en pleine nuit au bord des étangs !

Derrière la gare de Saint-Denis. Vous voyez, le quartier au bord du canal qu’on montre toujours dans les reportages sur le trafic de drogue dans le 93 ? Eh bien c’était pile-poil à cet endroit. Tous les salariés, y compris le patron, s'étaient fait agressés au moins une fois sur le trajet entre la gare et les bureaux. La direction avait fini par mettre en place une navette privée pour limiter les risques, perdant ainsi en frais de taxis quotidiens ce qu'elle avait cru économiser sur le loyer des locaux… En contrepartie, les soirs d’été, toute cette agitation, et puis entendre parler les langues de la Méditerranée au milieu des effluves de kebab, j’adorais ça. Ce fut aussi le premier boulot où je me suis présenté comme ouvertement homosexuel. Étrange mélange d'acceptation, d'indifférence et de remarques aussi naïves qu'homophobes, du genre : « Ah mais toi c'est pas pareil, tu n'es pas du genre à aller à la Gay Pride ! » ou encore : « Je ne pensais pas qu'un homo était capable d'occuper un poste aussi pointu que le tien. »

Un passage éclair en bord de Seine, dans des locaux climatisés aseptisés automatisés, il fallait même badger pour aller aux chiottes. La SSII la plus merdique pour laquelle j’ai travaillé. Les projets ne présentaient pas le moindre intérêt, les délais étaient délirants (parfois moins de 24h pour livrer), prononcer le mot « qualité » était quasiment considéré comme une insulte. Je n’ai pas tenu trois mois, j’ai démissionné sur un coup de tête un lundi soir à 17h50. Par contre, le revêtement de sol violet était assorti à mes Converses, ce qui était quand même d’une classe folle.

Toujours en bord de Seine, dans une grosse boite très sérieuse qui fabriquait très sérieusement du matériel médical très sérieux. Le maître mot ? La procédure. Des procédures pour tout. Pour écrire du code, pour tester du code, pour corriger du code. Pour écrire des documents, pour classer des documents, pour vérifier des documents, pour vérifier la vérification des documents. Pour configurer l'économiseur d'écran de son poste de travail, pour rédiger sa signature automatique de mail, pour organiser une réunion, pour transférer une compétence à un collègue. Il y avait même une procédure pour écrire des procédures et une autre pour s'assurer que les salariés prenaient bien connaissance des procédures. Alors que je faisais remarquer qu'il y avait peut-être trop de procédures et pas assez de bon sens, on m'a répondu le plus sérieusement du monde qu'on allait mettre en place une procédure pour s'assurer qu'il n'y avait pas trop de procédures. J'ai alors décrété qu'il était temps pour moi d'entamer la procédure de démission. (D'autant plus que que plusieurs de mes collègues s'étaient révélés être des militants de la manif pour tous, ce qui curieusement, avait quelque peu altéré ma capacité à travailler avec eux.) C'est dommage, parce que je trouvais plutôt intéressants les projets sur lesquels je travaillais.

Et bien sûr, par souci de discrétion, ni photo ni information à propos de mon nouveau boulot. Vous en saurez plus la prochaine fois que je changerai de poste et que j'actualiserai ce billet !