The Great Ape Project
Je découvre l'existence du Great Ape Project, une organisation qui milite pour la reconnaissance de droits juridiques aux grands singes. Passée la surprise première, je me dis que c'est finalement peu surprenant : c'est le prolongement logique de l'évolution de nos représentations sur nous-même, sur ce qui fait notre humanité.
- Il y a un siècle, personne n'aurait prêté intelligence, conscience de soi ou émotions à des chimpanzés. Aujourd'hui, on sait que les grands singes possèdent toutes ces caractéristiques et bien d'autres encore que l'on croyait l'apanage exclusif de notre espèce. Ils peuvent même communiquer, pour peu qu'on leur apprenne la langue des signes : s'ils ne parlent pas naturellement, c'est surtout par défaut d'organes phonateurs, et non par manque de capacité cérébrale. Enfin, on sait que leur patrimoine génétique ne diffère du nôtre que d'un seul petit pour cent. Les primatologues estiment que les chimpanzés ont les capacités intellectuelles d'un jeune enfant. Si les jeunes enfants sont des personnes reconnues juridiquement, dont les droits sont protégés par bon nombre d'organisations internationales, alors pourquoi pas les grands singes ?
- La culture occidentale, depuis plusieurs siècles, tend à être toujours plus inclusive et plus égalitariste. Petit à petit, on a reconnu que les native americans étaient dignes d'appartenir à l'espèce humaine, puis les Noirs avec l'abolition de l'esclavage, puis les peuplades primitives avec les progrès et la vulgarisation de l'anthropologie moderne. (On remet même en cause cette qualification de « primitive » pour lui préférer le terme « premier », jugé moins péjoratif.) À l'autre bout de l'échelle des temps, il en va de même avec les hommes préhistoriques : les Néandertaliens et les Cro-Magnons, que l'archéologie classait autrefois parmi les simiesques ou au moins les sous-hommes, sont aujourd'hui reconnus comme membres à part entière de la grande famille humaine.
- Le sentiment écologique progresse et il apparait de plus en plus normal que la loi protège autre chose que les intérêts humains : la nature, notre planète, notre environnement, etc. Or, les grands singes font partie de la nature.
Je ne sais pas si reconnaître des droits juridiques à des animaux est une bonne chose. Je n'ai pas d'avis tranché sur la question. D'un côté ça semble tout naturel ; d'un autre côté, sans vouloir tomber dans le sophisme de la pente glissante, il me semble que ça ouvrirait la porte à des considérations et des revendications, euh, disons, un peu radicales. Par exemple, si les primates sont reconnus comme des personnes juridiques, il se présentera tôt ou tard le cas d'une personne qui par testament lèguera sa fortune à un singe, posant alors la question du droit d'un animal à la propriété privée. Allons plus loin. Qui dit nouvelle législation dit nouveaux crimes et délits, qui dit droit à la propriété privée dit mobile de crime ; y aura-t-il des meurtres de chimpanzés, ainsi que des tribunaux et des prisons pour singes ?
Bon, ne nous emballons pas. Dans certaines régions du monde, on en est encore à faire en sorte que des humains ne soient pas traités comme des animaux, on est donc encore loin d'arriver à ce que des animaux soient traités comme des humains.