Du genre dans les numéros de Sécurité Sociale

Le journal Libération publie aujourd’hui une tribune du collectif La Barbe réclamant la suppression du chiffre indiquant le sexe dans le numéro de Sécurité Sociale. Cet article est à mon avis une erreur de communication. Les idées affichées sont trop « énormes », trop provocantes, trop déstabilisantes pour qui n’a jamais étudié ces questions. En plus, il se focalise sur un point de détail, le numéro de Sécurité Sociale, au lieu de parler du problème de fond général, à savoir la mention du genre des individus dans les documents administratifs.

Malgré tout, je ne m’attendais pas à autant de commentaires négatifs. Le rejet est massif, tant dans les commentaires que sur Twitter. Des amis m’ont même tenu des discours qui m’ont stupéfait, dans le style : « On ne va pas s’emmerder à changer un truc qui existe depuis longtemps et qui me convient très bien à moi, juste pour faire plaisir à une minorité ». Autrement dit, exactement le même argument que celui qu’utilise l’UMP pour s’opposer à l’ouverture du mariage aux homosexuels. Hé, les potes pédés, ça ne vous pose pas un problème d’employer contre les autres les arguments débiles qu’on utilise habituellement contre vous ? Moi si.

La question soulevée par cet article est pourtant très intéressante. Sur tous nos documents administratifs figure notre genre. À quoi cela sert-il ? Probablement pas à grand-chose, dans les rares cas où cette information serait utile, elle pourrait être obtenue par un moyen plus spécifique. Et surtout, il n’y a que deux cases possibles et l’appartenance à une case ou à l’autre n’est pas un choix de l’individu, ni même de la Nature qui nous fait naître avec un pénis ou un vagin ; mais du ressort de l’État. C’est l’officier de l’état-civil qui coche la case et sa décision est souveraine. Il faut un juge pour la modifier.

C’est choquant. Que vient faire la justice dans cette histoire ? Si mon sexe biologique ne correspond pas au genre auquel j’ai le sentiment d’appartenir, pourquoi faut-il une enquête de police et le pouvoir d’un juge pour m’expliquer que c’est bien ou mal, que j’ai le droit – ou pas – de me sentir homme ou femme ? (En pratique, c’est même bien pire que cela, la loi française étant une des plus barbares en la matière : les juges n’acceptent le plus souvent un changement de genre à l’état-civil qu’après un long parcours psychiatrique et une opération chirurgicale mutilatrice.)

Contre cette ineptie, et dans le contexte de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe qui tend à faire penser que le législateur comprend enfin que ni le sexe ni le genre des individus ne sont vraiment importants, cette proposition du collectif La Barbe me paraît tout à fait sensée et digne d’intérêt.

Franchement, à part une résistance au changement mal placée, que votre numéro de Sécurité Sociale soit tiré au sort ou fabriqué à partir d’informations signifiantes, qu’est-ce que ça peut bien vous foutre ?