ゴジラ
Le copain a passé une quinzaine de jours au Japon pour son boulot et entre autres choses, il m’a ramené une figurine de Godzilla. À moi. Un fan inconditionnel de la science-fiction des années 1950. Il ne pouvait pas mieux tomber !
Rendez-vous compte. Un vrai Godzilla ! Pas une pâle imitation, hein. La tronche de monstre préhistorique, les écailles verdâtres, la forêt de sapins des Vosges qui clignotent sur son dos quand il est énervé, tout y est. Un petit coup de photoshop par dessus et on se croirait dans un film d’époque.
Du coup, j’ai commandé le film, l’original, le premier de la saga, celui de 1954. Ca n’a pas été facile puisqu’il n’est plus édité en France et que les versions que l’on trouve à l’import n’ont évidemment pas de sous-titres en français. Je me suis rabattu sur la version proposée par le British Film Institute qui présente le double avantage de respecter le montage original (la version habituellement diffusée en Occident est légèrement remaniée) et d’avoir des sous-titres dans une langue compréhensible, à savoir l’anglais.
L’histoire : l’explosion de la bombe H à Nagasaki réveille un monstre préhistorique qui dormait jusque-là bien peinard au fond du Pacifique. La bestiole, très énervée, passe ses nerfs en coulant tous les bateaux qui passent à sa portée. Irrité, le gouvernement nippon déclare la guerre au monstre. Hélas, rien ne l’arrête, ni les armes conventionnelles, ni les avions de chasse, ni la clôture électrifiée géante bâtie pour l’occasion. Tokyo est détruite. Sur ces entrefaites, un scientifique découvre de façon fortuite une arme sous-marine qui pourrait venir à bout de Godzilla, mais traumatisé par ce que la science, mal utilisée, a permis à Hiroshima, il refuse de divulguer les secrets de son invention…
La première chose qui saute au yeux est que le style cinématographique est celui du cinéma soviétique d’avant-guerre. Il y a le noir et blanc de mauvaise qualité (la pellicule solarise, c’est à dire que les noirs et les blancs s’inversent quand les conditions d’éclairage deviennent trop fortes), les objectifs qui vignettent dans les coins, le scénario est bourré de messages de propagande, les acteurs sur-jouent à mort… On retrouve même des trucs d’Eisenstein, sa façon d’enchainer les champs contre-champs, ou encore sa façon de filmer les visages en gros plan. La musique est du même tonneau, on jurerait du Chostakovitch. Le contraste est violent avec le cinéma américain de la même époque. En 1956, Hollywood sort le cultissime Forbidden Planet : c’est en technicolor, le scénario est intelligent (une sorte d’adaptation en space-opera de La Tempête de Shakespeare), les acteurs ont un jeu naturel et moderne, les effets spéciaux sont potables, la musique fait appel aux techniques électro-acoustiques.
L’autre chose qui saute aux yeux, c’est que les Japonais ont été traumatisés par la dernière guerre. Le nucléaire est omniprésent, le monstre est radioactif, il y a des compteurs Geiger partout. La scène de la destruction de Tokyo est évidemment une référence à la destruction d’Hiroshima et Nagasaki, on croirait même certains plans, comme ces longs travellings sur les rescapés en guenilles, tirés des archives d’époque que l’on a tous vues dans divers documentaires. On trouve aussi le thème du scientifique qui refuse de divulguer ses découvertes de peur que les militaires en fassent une arme de destruction massive – une attaque à peine voilée contre les physiciens du projet Manhattan.
Malgré cette pique contre les États-Unis, c’est un Japon déjà très occidentalisé que l’on découvre. Le costume cravate y est largement plus répandu que le kimono et sur un des bateaux où un bal est donné, c’est sur de la musique américaine que garçons et filles dansent, flirtent et s’enlacent.
On se demandera quand même par quel mystère un film de série B tel que celui-là a pu enfanter une aussi riche descendance : une cinquantaine de films (aussi bien japonais qu’américains), des jeux vidéos, des bandes dessinées… Et des milliers de produits dérivés, tels que la figurine qui trône désormais dans ma bibliothèque !