Dans la Lune
Le voyage dans la Lune a eu des retombées considérables : scientifiques, techniques et surtout, humaines. Profitons de la mort de Neil Armstrong pour en dire quelques mots ! (Liste subjective, personnelle, et bien sûr non exhaustive.)
La chose la plus immédiatement palpable ramenée par les astronautes des missions Apollo, ce sont évidemment les échantillons de roche lunaire. C’était une révolution. Pour la première fois dans l’histoire des sciences, des géologues pouvaient étudier des échantillons provenant d’un autre corps céleste que la Terre ! (Ce ne fut d’ailleurs pas la dernière, contrairement à ce qu’on pourrait croire. On soupçonne fortement certains « cailloux » retrouvés dans les glaces de l'Antarctique dans les années 1980 d’avoir une origine martienne : en effet, lors d’impacts météoritiques, des fragments de roche peuvent être éjectés de Mars à une vitesse suffisamment élevée pour être mis en orbite, puis, des millions d’années plus tard, retomber sur Terre.)
Le principal enseignement de l’analyse de ces roches est que la Lune est sensiblement faite du même matériau que la Terre. Ceci aurait tendance à accréditer l’hypothèse selon laquelle la Lune serait un bout de croûte terrestre arraché lors d’un violent impact avec un gros corps céleste à l’époque de la formation du système solaire. Mais cette hypothèse reste encore controversée. D’ailleurs, pas plus tard que cette année, de nouvelles analyses (des mesures d’abondances isotopiques) ont révélé que la Lune contenait exclusivement des matériaux d’origine terrestre. Or, s’il y avait eu collision, la Lune devrait aussi contenir des matériaux provenant de l’autre corps céleste, celui qui a heurté la Terre. Et ce n’est pas le cas. C’est assez fascinant de se dire que 40 ans plus tard, on est encore en train d’analyser ces roches lunaires et qu’elles ont encore des choses à révéler…
Une chose moins connue est que les astronautes n’ont pas fait que ramener des échantillons. Ils ont aussi laissé des instruments sur place, qui servent encore de nos jours. Notamment, ils ont installé sur le sol lunaire cinq réflecteurs catadioptriques. Il s’agit de miroirs agencés de telle sorte qu’ils renvoient toujours la lumière dans la direction exacte d’où elle provient. On les utilise dans le cadre d’une expérience conduite à l’Observatoire de la Côté d’Azur pour mesurer la distance Terre Lune, en tirant au laser sur ces miroirs lunaires et en mesurant le temps que le faisceau met à nous revenir.
J’ai vu personnellement fonctionner cette expérience, et c’est une chose assez extraordinaire. Il s’agit d’une véritable prouesse technologique : en moyenne, pour chaque tir laser, on reçoit en écho un seul photon. Oui, juste un seul. Et il faut non seulement s’assurer que c’est le bon, et pas n’importe quel autre photon parasite venu d’on-ne-sait-où ; mais de plus, il faut aussi mesurer à quelques pico-secondes près le temps qu’a duré son voyage. Ceci est obtenu avec un triple filtrage : un filtrage temporel (on sait à l’avance à 50 nano-secondes près le temps du voyage, donc on n’ouvre l’obturateur que pendant ce laps de temps-là), un filtrage spatial (on sait exactement d’où provient le photon puisqu’on sait où se trouve le réflecteur sur la Lune) et un filtrage spectral (le laser émet sur 532 nm exactement, un filtre interférentiel permet d’éliminer tous les photons qui reviennent et qui n’ont pas cette longueur d’onde). Je passe sur divers autres problèmes, comme par exemple le fait qu’entre l’émission et le retour, du fait de la rotation terrestre, l’Observatoire s’est déplacé d’environ 800 mètres dans l’espace…
Au final, cette expérience permet de mesurer la distance Terre Lune avec une précision de l’ordre du centimètre. À quoi ça sert ? D’abord, c’est beau, ce qui devrait être une raison largement suffisante. Ensuite, ça permet d’affiner les modèles théoriques qui décrivent le mouvement des objets en orbite terrestre, ce qui est utile quand on veut lancer des satellites. Enfin, ça a permis de valider la Relativité d’Einstein. Bon, ce n’est pas comme si on ne l’avait pas déjà validée des dizaines de fois avec des dizaines d’autres expériences, mais une confirmation supplémentaire ne fait jamais de mal ! Des projets comme les réseaux de positionnement par satellites (GPS ou GLONASS) ont bénéficié des connaissances apportées par ces données.
Les missions Apollo ont également permis de développer de nouvelles technologies, ou bien de populariser des technologies peu connues auparavant et qui ont eu des retombées sur nos vies de tous les jours. On peut citer par exemple les centrales inertielles (qui équipent aujourd’hui tous les avions de ligne et tous les sous-marins), le Téflon, le Gore-Tex… Je trouve toutefois malhonnête d’attribuer ces inventions à la conquête de la Lune, comme le font certains articles de journaux qu’on a pu lire la semaine dernière, parce que ces inventions auraient de toute façon été réalisées sans la NASA. Ça aurait juste été un peu plus tard et pris des voies différentes.
Mais la plus belle retombée des expéditions lunaires est pour moi humaine : le voyage dans la Lune a fait rêver toute une génération, il a occupé l’imaginaire de millions d’enfants et d’adolescents, Armstrong, Aldrin et Collins ont été des modèles positifs. Les gens qui sont nés après ne se rendent pas compte à quel point la conquête spatiale a façonné les années soixante et soixante-dix. Le moindre décollage de fusée justifiait une édition spéciale en direct de Cap Canaveral ; on lisait tous les bouquins et toutes les revues qui nous tombaient sous la main et qui parlaient de près ou de loin de voyages dans l’espace ; à l’école, on abordait la question en cours de sciences et une fois le cours fini, on profitait de la récréation pour aller jouer aux astronautes dans la cour ; David Bowie s’est fait connaitre grâce à un album qui parle de voyage intersidéral ; et sans les missions Apollo, la moitié des films de SF n’existeraient pas aujourd’hui – ou ils seraient en tout cas très différents.
Surtout, le voyage dans l’espace donnait envie de vivre l’avenir. Tout le monde était persuadé que la colonisation de la Lune allait commencer, qu’on irait en vacances sur les autres planètes, qu’on aurait des voitures volantes, des robots domestiques, et d’innombrables autres inventions qui nous rendraient la vie plus simple, plus confortable, ou peut-être tout simplement : plus merveilleuse, plus magique. Et tout ça était à portée de main, là, peut-être dans les années quatre-vingt dix, au plus tard en l’an 2000 !
Hélas, si nous regardions avec tant d’envie le XXIe siècle, c’est plutôt vers le passé que la plupart des gens regardent à présent… Il faut dire que notre époque ne regorge pas vraiment d’exploits comparables, qui seraient de nature à galvaniser toute une génération et qui pourraient nous donner envie d’espérer en l’avenir.
C’est bien pour ça qu’il faut lancer au plus vite les premières missions martiennes.