Peinture contemporaine

Une critique que j’entends souvent à propos de la peinture contemporaine est qu’elle ne représenterait pas la réalité. Je trouve un peu bizarre que ce critère de représentation de la réalité ait une quelconque importance, mais admettons. Si l’on s’en tient à une définition intuitive de la réalité qui serait en gros : ce qui existe dans la nature et que nos yeux peuvent voir, alors c’est vrai, les projections de peinture colorée de Pollock ou les figures géométriques de Mondrian ne représentent pas la réalité.

Le problème, c’est que l’art classique non plus. Allez donc au Louvre et plantez-vous au milieu de n’importe quelle salle. Vous serez entourés de scènes religieuses ou mythologiques, d’angelots, de paysages purement imaginaires. Tout cela existe-t-il ou a-t-il existé ? Psyché a-t-elle réellement été ranimée par l’Amour, le Chancelier Rolin s’est-il réellement agenouillé devant la Vierge, la duchesse de Villars prenait-elle réellement son bain avec Gabrielle d’Estrées en lui pinçant le téton ? Bien sûr que non. La peinture classique ne représente pas davantage la réalité que la peinture contemporaine. Aussi bien l’une que l’autre ne figurent que des symboles qu’il appartient au spectateur de décoder. La différence à mon sens est que dans la peinture contemporaine, on comprend d’emblée qu’on n’y arrivera pas sans une explication de l’artiste (ce qui n’est pas forcément grave, pas besoin de comprendre pour être viscéralement touché), alors que dans la peinture classique, on croit pouvoir décrypter immédiatement ce que l’on voit.

C’est un leurre. La plupart du temps, même quand il s’agit de peinture figurative, on ne décrypte rien du tout. Du fait que nous baignons dans une culture chrétienne, nous savons instantanément reconnaître une Annonciation, une Cène ou une Crucifixion lorsque nous en voyons une ; nous avons les billes pour comprendre ce que ça représente, à la fois visuellement et symboliquement. Mais un Hindou ou un Chinois voit-il autre chose dans une Crucifixion qu’un type barbu cloué sur une croix ? Et nous-même, savons-nous comprendre sans explication complémentaire toutes les peintures qui ornent nos musées ? Si on vous place devant La Mort de Socrate, saurez-vous comprendre qu’il s’agit de Socrate, que le verre qu’il tient à la main contient de la ciguë, que les jeunes garçons autour de lui sont ses étudiants ? Si on vous place devant une toile représentant le martyr d’un obscur Saint de seconde zone, saurez-vous comprendre de quel Saint il s’agit, ce qu’on est en train de lui faire et pourquoi ? Si l’on vous place devant une scène de bataille, saurez-vous l’identifier, saurez-vous même différencier une bataille mythologique purement imaginaire d’une bataille historique ? Je n’en suis pas certain. Sauf cas exceptionnel, comprendre une œuvre classique demande autant de bagage intellectuel que comprendre une œuvre contemporaine. Sans ce bagage, La Mort de Socrate ne représente guère qu’un vieil homme debout qui boit un verre devant une foule éplorée. Bien sûr, du fait qu’il s’agit d’une œuvre figurative, vous avez au moins accès à ce premier niveau de signification, vous pouvez au moins vous extasier sur la beauté des traits du personnage ou sur le rendu de la perspective. C’est déjà ça, mais ça ne va quand même pas très loin, ça ne dit rien de l’intention du peintre et du message qu’il a voulu faire passer.

Disons que l’art classique, c’est comme un article de maths ou un texte juridique : vous comprenez tous les mots pris isolément, la forme vous est familière en apparence, mais dans le fond, il y a de fortes chances que le sens global vous échappe si vous n’avez pas une certaine formation. Tandis que l’art contemporain, c’est un texte dans une langue étrangère : vous ne comprenez même pas les mots.

Au final, ça revient au même.