Science & Vie TV
Classé dans : Humeur, Science
On a l’habitude (curieuse, je vous l’accorde) de regarder la télé en dînant. Sauf que cet été, la télé, elle était cassée : quelle que soit l’heure, elle ne diffusait que des épreuves de sport ! Le bug a enfin été réparé mais dans l’intervalle, il a fallu trouver autre chose à se mettre sous la dent que nos émissions favorites habituelles. C’est alors qu’on a découvert la chaine Science & Vie TV.
Dans mon souvenir, Science & Vie, c’était un journal de vulgarisation scientifique. Il y avait plein d’explications et de schémas sur plein de sujets, ça promouvait la méthode scientifique, ça ridiculisait l’homéopathie et l’astrologie, ça replaçait la science dans le contexte social et politique, c’était du sérieux. J’ai appris tellement de choses dans ce journal quand j’étais adolescent ! Hélas, la chaine de télé qui a hérité du nom et de logo n’est pas vraiment sur la même ligne… On est plutôt sur la promotion du techno-solutionnisme béat à destination des tech bros, sur fond de dépolitisation totale de tous les sujets.
Les documentaires scientifiques ? De la merde. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de spectacle (« ce que la sonde Machin a découvert en survolant Jupiter va vous laisser sans voix ! ») pour un pour cent d’information. L’accent est mis sur le côté fabuleux et magique des phénomènes, jamais sur les explications qui permettraient de se rendre compte que précisément, ce n’est ni fabuleux ni magique, mais juste de la physique bien rationnelle.
Les reportages sur les très gros bateaux, les très gros avions, les très grosses usines, les très grosses constructions de génie civil ? J’avoue, c’est sympa, je succombe facilement au méca p0rn… Sauf que les sujets sont présentés sous un angle purement technique, sans recul politique, voire en gommant les détails gênants comme par exemple : la consommation en énergie fossile de ces supers machins volants ou flottants, leur impact sur les écosystèmes, les conditions de travail des gens qui les font tourner et les entretiennent, les compromissions des dirigeants qui les exploitent, etc. On est dans l’optimisme social et technologique béat : à en croire les gens interviewés dans ces reportages, fabriquer des voitures est écologique et travailler à la chaine en usine est épanouissant…
Enfin, le clou du spectacle : une série entière d’émissions consacrées au génie d’Elon Musk. Où des ingénieurs enthousiastes de chez Tesla ou Space X nous expliquent le plus sérieusement du monde comment l’Hyper Loop va révolutionner les transports et comment on va aller s’installer sur la planète Mars dans même pas quinze ans.
Dans une vie antérieure, j’ai fait de la vulgarisation scientifique et vous savez quoi ? La vulgarisation, c’est de la politique. Sinon, je n’en aurais probablement pas fait. Ça consiste à informer bien sûr, à montrer aux gens des choses qu’ils n’ont pas la possibilité de voir habituellement, par exemple regarder dans un télescope ou dans un microscope, mais ça consiste surtout à expliquer, à démystifier, à rendre accessible, à fournir des outils de réflexion et d’auto-défense intellectuelle. L’objectif est de redonner du pouvoir face aux discours politiques – sur la médecine, sur la bioéthique, sur les choix énergétiques, sur le climat, la liste est infinie tant nos sociétés sont traversées par les questions scientifiques. L’objectif est d’immuniser contre le complotisme et la désinformation. L’objectif est de donner au plus grand nombre assez de culture scientifique pour que chacun réalise par lui même qu’Elon Musk est une imposture.
Des objectifs dont Science & Vie TV se contrefout manifestement ; mais j’imagine que ça aussi, c’est une position politique en soi.
Dingueries
Classé dans : Humeur, Politique
C’est une dinguerie, ces législatives anticipées, quand même. Il paraît que LFI est un dangereux parti d’extrême gauche et use d’un communautarisme indigne, que le Nouveau Front Populaire est antisémite et que son programme mènera à la ruine du pays, que le RN est le meilleur ami des Juifs et des homosexuels, que le macronisme est une réussite économique et écologique, que simplifier des démarches administratives est ubuesque… Et pendant qu’on se noie dans cet océan de merde post-vérité, Bolloré transforme tranquillement tous ses téléspectateurs et ses auditeurs en fachos. Une dinguerie, je vous dis.
La démocratie meurt de sa propre arme : la liberté d’expression. « Il faut laisser les points de vue s’affronter librement et les plus rationnels, les plus logiques, les plus argumentés, gagneront naturellement ! » entend-on toujours. C’est mignon, mais c’est à la politique ce que le libéralisme est à l’économie, ce que la main invisible d’Adam Smith est aux marchés financiers : une croyance débile. Alors attention, je ne dis pas qu’il faut restreindre la liberté d’expression, bien au contraire ; je dis juste qu’elle ne suffit pas, je dis juste qu’il faut arrêter de croire qu’à elle toute seule, comme par magie, elle garantirait l’émergence de réponses sensées aux questions politiques.
C’est que toutes les idées n’ont pas le même pouvoir de séduction, pas la même viralité. Les gens adhèrent à une idée nouvelle non parce qu’elle est bonne ou bien étayée ou même simplement vraie, mais pour tout un tas des raisons internes : parce qu’elle conforte leur vision du monde, parce qu’elle leur permet de jouir d’une position sociale (ou ce qui revient au même, de ne pas être rejeté par le groupe social auquel ils appartiennent), parce qu’elle leur permet de se défausser sur quelqu’un d’autre, parce qu’elle les flatte, parce que le messager est sympa ou charismatique… Il y a des mécanismes oppressifs également, « la raison du plus fort est toujours la meilleure » dit la fable, et quiconque a été unique femme dans un groupe d’hommes, unique racisé dans un groupe de Blancs, ou unique gay dans un groupe d’hétéros, l’a ressentit dans sa chair. (Ce n’est pas juste pour faire chier qu’on fait des réunions non mixtes, hein.) Bref, la fameuse lutte dans l’espace éthéré des idées est largement biaisée, plus dirigée par des mécanismes psycho-sociaux que vers la recherche d’une quelconque vérité.
Et puis débattre implique une dose de sincérité. Ça implique de s’accorder sur la notion d’argument, de preuve ; ça implique d’accorder la même valeur à la réalité, à l’expérience. La droite s’attaque toujours aux sciences sociales, justement parce qu’elle partage cette conception du débat et que dans ce cadre, elle est embarrassée par la sociologie qui lui donne souvent tort. Trump a trouvé la solution : plutôt que d’attaquer les gens qui prouvent qu’il a tort sur le terrain de la raison, il a tout simplement dynamité le concept même de preuve, de vérité, de rapport à la réalité. Toute la classe politique anti-libérale mondiale, qui pour le coup a trouvé cette idée là géniale, lui a emboité le pas. Forcément, quelle aubaine ! Plus besoin de justifier rationnellement ses réformes, plus besoin de répondre aux questions embarrassantes des journalistes, plus besoin d’assumer les conséquences de ses actes devant les parlements ou les organisations internationales, il suffit de dire n’importe quoi avec aplomb, et voilà !
Orwell avait imaginé un système politique qui détruisait le sens des mots afin d’empêcher l’expression des oppositions politiques ; la solution pour faire advenir le fascisme est en réalité beaucoup plus simple, il suffit de convaincre tout le monde que la réalité n’a aucune importance. On y est. Après dix ans de ce régime, tout le monde est paumé, le confusionnisme est généralisé, plus personne n’a confiance en la parole de qui que ce soit, le complotisme explose, et une grande partie de la population votera pour l’extrême-droite quoiqu’on dise ou fasse pour leur démontrer que c’est une erreur historique, puisque le concept même de démonstration est devenu inopérant.
C’était bien la peine de nous bassiner avec le devoir de mémoire, les commémorations, les manuels d’histoire, les « plus jamais ça », les milliers d’œuvres artistiques, du Journal d’Anne Franck aux méchants de Indiana Jones en passant par le Rhinocéros de Ionesco… Tout ça pour au final, élire un mec parce qu’il fait des vidéos rigolotes sur Tiktok et qu’il est bien coiffé sur les affiches.
Dépitée devant tant de dingueries, la République a rage quit la conversation et est partie faire du saut à l’élastique pour se changer les idées. Maintenant, il va falloir attendre le 7 juillet pour savoir si l’élastique était bien accroché.
L‘orgue d'Éros
Classé dans : Ego
J’ouvre subrepticement un portail interdimensionnel entre ce blog et mon autre site pour signaler que j’ai sorti un nouveau bouquin ! Sonnez hautbois, résonnez musettes, le nouveau-né s’intitule L’orgue d’Éros et est constitué de douze nouvelles queers de SF/F. Évidemment, ça parle de sexualité, mais pas que. Il y a aussi de la magie, de la science, des voyages dans le temps, des robots sextoy, du cyberpunk, et plein d’autres choses encore.
Toutes ces merveilles se trouvent à peine à un clic d’ici, au bout de ce lien, et sont disponibles en ebook (téléchargement libre et gratuit) pour les heureux possesseurs d’une liseuse, ainsi que sous la forme d’un somptueux livre broché de 296 pages avec couverture en couleur sur papier glacé pour ceux qui préfèrent alourdir leurs étagères.
Bonne lecture !