Mille-feuille

On découvre que l’un des rédacteurs du Bondy Blog, un média qui s’intéresse aux discriminations dont sont victimes les habitants des banlieues, a tenu un compte twitter misogyne, antisémite et homophobe. C’est évidemment inacceptable, mais c’est aussi très banal. Militer contre une discrimination tout en commettant soi-même d’autres discriminations, c’est assez répandu.

L’intersectionnalité s’intéresse aux gens qui sont victimes de plusieurs discriminations à la fois. En tant qu’homo ayant un nom juif et une tête d’arabe, je connais particulièrement bien le problème, mais je pense que la plupart des gens sont concernés. Personne ne rentre dans une case, personne n’est défini par une caractéristique. (Notez la voix passive : car je ne pense pas que les gens se définissent, mais plutôt que la société les définit de force ; ce qui peut éventuellement se traduire par une réappropriation et une revendication identitaire, mais ça vient après.) Nous ne sommes pas monolithiques, nous ne sommes pas réductibles à une essence unique (le Noir, la Femme, le Pédé, le Gauchiste…). La multiplicité des histoires, des situations, des événements, des personnalités, donne un empilement de couches, souvent contradictoires, et chacun fait ce qu’il peut pour donner une apparence de cohérence à la surface.

Mais si les gens sont complexes et multi-couches, les associations, elles, le sont rarement. Il y a des associations de lutte contre l’homophobie, des associations de lutte contre l’antisémitisme, des associations de lutte contre les contrôles au faciès racistes. Mais je n’ai jamais vu d’associations de lutte contre tout ça à la fois. Ce qui fait qu’au sein d’une association pour la cause X, on rencontre souvent des gens qui à titre individuel sont contre (ou simplement indifférents à) la cause Y. Tant pis. On fait avec.

On m’a reproché sur twitter de me sentir proche de mouvements comme les Indigènes de la République, alors qu’une de ses fondatrices a théorisé l’homophobie dans un de ses bouquins, ou du camp d’été décolonial l’année dernière, alors que certains de ses participants ne sont pas connus pour leur sympathie pro-juive ou pro-gay. J’assume la contradiction. Ces mouvements luttent contre une discrimination spécifique, lutte avec laquelle je suis à cent pour cent d’accord, et j’essaie de ne pas faire trop attention à ce qu’à titre individuel, tel ou tel sympathisant a pu écrire sur un sujet qui n’a rien à voir.

Il y a des racistes chez les homos, des homophobes chez les musulmans, des islamophobes chez les juifs. Si on s’en formalise trop, on ne s’en sort pas : il nous faudrait autant d’associations de lutte qu’il y a d’intersections possibles, ce qui serait aussi irréaliste qu’inefficace. À la place, je fais le pari du progrès, le pari qu’à force de fréquenter la diversité au sein de chaque association, les gens réalisent leurs erreurs, remettent en cause leurs préjugés, et comprennent la convergence des luttes.