À crédit

J’ai besoin d’un crédit.

Je commence tout naturellement par m’adresser à ma banque. Ils me connaissent bien et proposent de bons taux, ce sera l’affaire d’une minute. Effectivement, c’est très rapide : quelques secondes me suffisent pour remplir le formulaire web et me prendre un insultant « crédit refusé » dans la poire.

Je tombe des nues. (Tout en poussant néanmoins divers jurons in petto.) Ma situation financière est saine, les mensualités de l’emprunt seraient faibles, qu’est-ce qui peut bien coincer ? La logique des banques me sera toujours hermétique. Bon, ce ne sont pas les organismes de crédit qui manquent, ne nous laissons pas démonter.

NEXT !

Allons voir Cofinoga, j’ai déjà un petit crédit chez eux. D’ailleurs, première question qu’on me pose : êtes-vous déjà client ? Oui, m’exclamè-je fièrement ! Deuxième question : veillez entrer votre numéro de compte. Je fouille dans mes papiers (je déteste fouiller dans mes papiers), trouve mon numéro de compte, m’étonne que celui-ci ne comporte que six chiffres alors qu’on m’en demande onze ; je finis par comprendre que ce qui s’appelle numéro de compte sur le formulaire web correspond en fait à mon numéro de client sur mon contrat papier, entre celui-ci dans la case prévue à cet effet, pour recevoir une réponse catégorique et définitive : numéro de client invalide. Bon, pas de temps à perdre avec ces conneries. Cofinoga, si tu me veux comme client, paie-toi un système d’information qui marche.

NEXT !

Passons rendre visite à Cetelem, c’est eux qui ont financé ma petite Ford Ka. Ils m’avaient même envoyé un courrier pour me féliciter de n’avoir jamais eu aucun incident de paiement en quatre ans. Je commence à remplir leur formulaire en ligne. On me pose des questions, encore des questions, et encore d’autres questions. À la troisième page, je commence à me demander si ce formulaire n’aurait pas été rédigé par la réincarnation de Torquemada. À la quatrième page, je frémis à l’idée que la CNIL ait pu donner son aval à la constitution d’un fichier pareil. À la cinquième page, alors qu’on n’a toujours pas abordé le vif du sujet et qu’on me demande le niveau d’étude (hein ?) et le lieu de naissance (quoi ?) de mon conjoint, je décrète que ça suffit.

NEXT !

Retournons voir ma banque, mais par téléphone cette fois. J’appelle un conseiller et lui donne exactement les mêmes informations que celles que j’avais saisies la veille sur internet. Crédit accepté. En fait, je sais pourquoi la logique des banques m’échappe : c’est parce qu’il n’y en a pas.